Archives de la catégorie ‘Electronique de défense’

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Il y a un domaine dont on parle peu, mais qui finalement est aussi important que la vision artificielle ou la robotique : il s’agit du son. La recherche et l’innovation en acoustique sont en effet au cœur des problématiques de défense et de sécurité, comme en témoignent les récentes « attaques » subies par des diplomates américains en Chine et à Cuba. On se rappelle que douze diplomates américains de l’ambassade de La Havane à Cuba ainsi que deux employés du consulat américain de Canton, en Chine, ont présenté sans raison apparente des symptômes similaires à ceux d’une commotion cérébrale, ainsi qu’une surdité subite. A tel point que l’on a parlé « d’attaques sonores » menées contre les diplomates.

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Si l’on pense qu’en définitive, de telles attaques sont en réalité le résultat d’interférences entre différents systèmes d’écoute et de transmission par ultrasons, il n’en est pas moins vrai que le son peut, en soi, jouer le rôle d’une arme. De telles armes « soniques », il y en a de plusieurs types. En premier lieu, celles qui utilisent les fréquences audibles par l’oreille humaine (entre 20 Hertz et 20 000 Hertz). De telles armes peuvent être utilisées par exemple comme outils non létaux pour dissiper une foule hostile – j’avais écrit sur ce sujet il y a quelques temps dans cet article.

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C’est par exemple le cas du LRAD-100X (l’acronyme correspond à Long Range Acoustic Device) qui utilise un dispositif de transduction piézoélectrique afin de créer un signal sonore concentré et amplifié, capable de calmer même l’individu le plus agressif en focalisant sur lui une onde sonore capable d’atteindre les 120dB (ou même plus – le souci étant qu’à 160 dB, vos tympans explosent).

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Les individus qui ont subi une attaque de LRAD mentionnent des symptômes insupportables (le sentiment que les sinus s’enflamment, un saignement des oreilles, une migraine tenace, et même la paralysie et l’insensibilité des parties du corps exposées au signal).

Voici une vidéo déjà ancienne, mais qui illustre bien l’utilisation du LRAD :

En mode infrasonique (en-dessous de 20 Hertz), le principe est le même, mais les effets sont plus… dérangeant puisqu’ils vont du sentiment de coup de poing dans le ventre, au sentiment de nausées et de migraines et jusqu’à… la libération involontaire du contenu de vos intestins (!).

Si l’on s’intéresse à l’autre extrémité du spectre, les ultrasons, les choses sont différentes. Car l’effet des ultrasons sur le corps ne se limite pas à l’audition. En premier lieu, ils ont tendance à chauffer le corps à la manière d’un four à micro-ondes, ce qui peut causer des dommages importants à nombre de cellules. Mais cela se combine à un autre phénomène, comparable à ce qu’il se passe dans le monde sous-marin : la cavitation. Lorsqu’une onde ultrasonique traverse le corps, elle peut générer une cavitation d’autant plus importante que l’onde est forte, ce qui génère la formation de bulles dans le corps, par exemple dans le liquide de l’oreille interne.

Toutefois, les ultrasons perdent rapidement de leur puissance avec la distance, ce qui les rends inadaptés à un emploi opérationnel, à moins de combiner plusieurs faisceaux. C’est d’ailleurs ce qui a pu se produire, de manière involontaire, pour les malheureux diplomates, pris dans des zones d’interférences entre plusieurs faisceaux ultrasoniques équipant des matériels d’écoute. C’est en tout cas la théorie qui prédomine aujourd’hui pour expliquer les prétendues attaques.

Innover dans le domaine sonore, c’est aussi essayer de capturer au mieux le son à des fins d’écoute ou d’espionnage. De nombreux dispositifs existent, et permettent par exemple « d’arroser » le visage d’une personne par des ultrasons, lesquels vont se réfléchir et être capturés ensuite par un dispositif audio classique. A la manière d’un radar, cette réflexion varie en fonction par exemple des mouvements de la bouche, ce qui permet ensuite de reconstituer la voix, en particulier dans des environnements bruités. On peut par exemple mentionner le système SAVAD pour « Super-Audible Voice Activity Detection » qui fonctionne sur ce principe.

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Dans ce domaine, l’intelligence artificielle (oui, encore elle) peut venir à la rescousse de l’espion. Tout d’abord en gommant les bruits parasites de fond. La revue Science vient en effet de publier un article dans lequel un système d’intelligence artificielle apprend à distinguer une voix en se guidant sur les mouvements des lèvres et sur l’analyse des différents sons. La combinaison « analyse des sons » et « analyse des indices visuels » semble se révéler bien plus efficace que l’analyse sonore seule. Pour ceux que cela intéresse, le système sera présenté au prochain SIGGRAPH.

Un autre usage de l’IA consiste directement à lire sur les lèvres. On rappelle en particulier que DeepMind, l’IA développée par Google, a développé il y a quelques temps une application de lecture sur les lèvres, entraînée à partir de 5.000 heures de programmes télévisés de la BBC.

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Le système est parvenu à un taux de réussite de 46,8 %, un chiffre très impressionnant si on le compare à la performance d’un expert humain entraîné (entre 12 et 20% de réussite). En particulier, le système semble plus robuste aux homophones (ver, verre, vert…), et peut consolider son analyse en généralisant la détection à partir de l’observation de plusieurs orateurs. De là à imaginer une IA observant à distance les lèvres pour capturer et reconstituer la parole, il n’y a qu’un pas;  guerre du son, intelligence artificielle, armes infrasoniques… les meilleurs auteurs de science-fiction n’ont qu’à bien se tenir.

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Bien que le projet soit engagé depuis 2012, c’est ce mois-ci, lors de la conférence FIRES de Fort Sill (USA), qui permet chaque année aux industriels de dévoiler leurs dernières innovations en termes de technologie de défense (ci-dessous), que Lockheed Martin a fait le « buzz ». La firme américaine a en effet, et pour la première fois, dévoilé des détails et caractéristiques techniques sur son missile miniature « Hit-To-Kill » (MHTK).

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Il s’agit d’un nouveau type de missile miniature, permettant, sur le même principe que le système « Iron Dome » israélien, de constituer une bulle de protection autour d’installations sensibles, ou de troupes déployées.

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La bestiole est très, très compacte ; en gros, la taille d’un parapluie : 71cm de long dans sa dernière version (contre 68cm initialement), un diamètre de 4cm, et un poids d’environ 2,2 kg. Cela, en soi, c’est une innovation. Car le missile MHTK embarque un radar miniaturisé à antenne active, un système de propulsion et son carburant, le système de contrôle, et bien évidemment une charge utile (en l’espèce, de la même manière qu’un obus flèche, c’est l’énergie cinétique qui provoque l’effet militaire, sans besoin d’une charge explosive). Le système de tracking est une antenne AESA (active electronically-scanned array) qui procure un champ de balayage de 45° en élévation, avec un angle de 90°. Pour mémoire, un radar AESA remplace l’antenne mécanique mobile d’un radar classique par un ensemble fixe composé de plusieurs modules émetteur/récepteur. Chacun de ces modules est commandé individuellement, ce qui permet d’orienter le faisceau dans la direction souhaitée.

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L’emploi privilégié du MHTK est la protection d’installation contre des attaques de type roquettes, missiles ou drones. Différents radars couvrant la zone ont fonction de détecter la menace. Une fois celle-ci identifiée, le MHTK est lancé, et va se diriger vers les coordonnées signalées par le radar, avant d’engager une phase de recherche autonome de sa cible en analysant notamment sa vitesse d’approche. L’interception est directe (« hit to kill ») et permet d’éviter les dégâts collatéraux que l’on peut redouter si l’on emploie une charge explosive au lieu d’une charge cinétique.

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L’objectif est de pouvoir lancer le MHTK à partir de plateformes mobiles (camions lanceurs) ou même d’employer des systèmes de lancement verticaux, permettant d’embarquer une trentaine de missiles, qui ensuite trouveront d’eux-mêmes leur cible (plusieurs versions du MHTK existent, actives ou semi-actives, mais elles possèdent toute la même configuration). Lockheed Martin cherche ainsi à imposer le choix du MHTK comme le système retenu dans le cadre du programme Indirect Fire Protection Capability de l’US Army.

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Mais comment Lockheed Martin a-t-il réussi à miniaturiser un tel système (gage notamment de sa manœuvrabilité une fois dans les airs, sachant qu’il doit intercepter des cibles elles-mêmes très manœuvrantes) ? La réponse : en s’inspirant de technologies civiles !

Son système de tracking utilise ainsi des composants issus de l’imagerie médicale (en particulier en convertissant les radiofréquences en signaux lumineux – pour le coup, c’est le niveau maximal d’information fourni par Lockheed Martin !). Ce faisant, le système gagne en compacité. Les ingénieurs se sont également inspirés de l’industrie des smartphones afin d’en dériver des modules et en particulier d’en exploiter une caractéristique très intéressante : dans un smartphone, l’électronique est conçue de telle façon que les composants n’interfèrent pas entre eux alors qu’ils cohabitent dans un facteur de forme très compact. Une caractéristique évidemment très utile au domaine militaire.

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Ce « baby missile » comme la presse le surnomme déjà est donc l’illustration parfaite des fertilisations croisées entre le monde civil, grand public, et l’innovation technologique de défense. De plus, l’utilisation de technologies dites CE pour « Consumer Electronics » permet de garantir une certaine robustesse. Un smartphone doit pouvoir tomber, encaisser des chocs, des variations de température, sans pour autant cesser de fonctionner. Finalement, le monde civil est parfois plus exigeant en termes de robustesse que le monde militaire.

Le missile MHTK – s’il remporte la compétition – devrait être mis en service d’ici 2022.

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Cette semaine, rencontre avec l’un de mes amis, David Menga, que certains d’entre vous connaissent sûrement. David est expert dans l’Internet des Objets, l’IA et blockchain appliqués à la smart home, au smart building et à la smart grid.

Dans la vie, il est chercheur à l’EDF Lab et coordinateur technologique du pôle de compétitivité Normand TES (Transactions Electroniques Sécurisées). Il a co-édité avec Nobuo Saito, professeur émérite de l’Université Keio au Japon, un livre intitulé « Ecological Design of Smart Home Networks, Social Impact and Sustainability ». Bref, un chercheur, un curieux insatiable, et un homme de vision notamment dans le domaine de l’Intelligence Artificielle dont nous allons bien évidemment parler. Petite interview entre amis:

David, tu es chercheur à l’EDF Lab. Bon, aujourd’hui toutes les institutions et tous les grands industriels ont leur lab. Alors c’est quoi, l’EDF Lab – un lab de plus ou un précurseur?

EDFlab est le plus grand centre industriel de recherche et formation en Europe. Son rôle est de préparer l’avenir du groupe EDF, à la croisée des mutations numériques et énergétiques.

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Quelles sont tes thématiques et sujets de prédilection ?

Je travaille beaucoup sur les nouveaux relais de croissance pour la branche commerce d’EDF, comment aller au-delà de la vente simple d’électrons et offrir des services à valeur ajoutée à nos clients. Cela signifie trouver des positionnements pertinents pour EDF dans un monde numérique massivement connecté et en pleine transition énergétique vers des systèmes de production décentralisées et renouvelables. Je travaille concrètement sur la digitalisation des tableaux électriques, la transformation des supports d’éclairage en plateformes de services, et la mise en œuvre de coachs énergétiques à travers des intelligences artificielles capables de raisonner et de dialoguer avec un utilisateur en argumentant.

Alors pour les lecteurs de ce blog, tout ceci ne parle pas encore d’innovation de défense, mais bien évidemment, les technologies sont connexes – tu as d’ailleurs participé au projet SOFLAB organisé par le Cercle de l’Arbalète. Allons donc dans le dur – dans ce blog, j’ai beaucoup parlé à la fois des « games changers » comme l’hypervélocité, l’IA et le big data, le quantique (au sens large)… et des pays qui se dotent massivement de moyens pour participer à cette course à la technologie. En particulier la Chine. Quelle est ta perception de la « géostratégie » des ruptures technologiques dans le domaine ? Et d’ailleurs, vois tu d’autres ruptures que celles que j’ai citées ?

Je vois particulièrement des ruptures dans l’univers de la biologie et de la chimie quantique.

J’entrevois l’évolution des usines chimiques actuelles en usines bactériennes programmables capables de produire à la demande les matériaux indispensables à notre civilisation moderne, offrant les mêmes qualités d’usage et biodégradables.
J’entrevois la possibilité grâce au ordinateurs quantiques, de fabriquer à la demande de nouveaux matériaux répondant à des cahiers des charges précis. Ce serait une évolution majeure de l’imprimante 3D.

Plus généralement, je pense que nous allons basculer dans l’ère post silicium, celle du carbone dont on redécouvrira les bienfaits une fois capturé et domestiqué à des coûts acceptables.  En particulier, je pense que l’électronique au graphène et aux nanotubes de carbone va se développer dans la prochaine décennie.

La conséquence de tous ces progrès sera une révolution dans l’énergie, la manière dont on la produit (panneaux solaires au rendements proches de 50 % , turbines au CO2 , éoliennes silencieuses et performantes ) , la manière dont on la distribue ( câbles supraconducteurs, réseau intelligent tolérant aux pannes, courant continu ) et enfin la manière dont on la consomme. Les réseaux énergie sans fil vont se développer avec la mobilité électrique.

La santé est aussi un secteur à fort potentiel d’évolution, avec les progrès de la médecine personnalisée, prédictive, préventive et régénérative. La génomique et l’épigénétique sont au cœur de cette révolution. Enfin, j’entrevois de nouveaux modèles économiques où le consommateur est au centre de la proposition de valeur grâce à la blockchain.

Pour l’instant, toutes ces transformations sont tirées par la Chine et les Etats Unis. L’Europe place ses efforts dans la règlementation et l’éthique, certes nécessaires mais non producteurs de richesses.

De la même manière, on assiste à la consolidation des acteurs privés de la technologie – les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) mais pas seulement. Quelle est ta vision de l’évolution du paysage, et qu’anticipes-tu comme impact dans le domaine de la défense et de la sécurité ?

Je pense que les grandes entreprises GAFA et BATX (note : BATX = Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) vont prendre de plus d’importance dans les états où ils opèrent. L’affaire Cambridge Analytica montre les dérives d’un système sans contrôle, avec la manipulation à large échelle de l’opinion, ce qui pose des problèmes de sécurité nationale.

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De plus, leur maîtrise de l’IA les rendra indispensables pour construire des systèmes de défense efficaces, comme le montre l’utilisation de l’outil Tensorflow de Google par les militaires américains. (Note: voir mon dernier article sur le projet MAVEN)

Parlons d’IA. La mission Villani vient de s’achever et le président a présenté le rapport il y a deux semaines lors d’une « grande messe de l’IA » au Collège de France (une première dans le domaine). En premier lieu, que penses-tu de ce rapport et des préconisations qui y sont présentées ?

Le rapport Villani pose un bon diagnostic sur l’importance de l’IA dans la société, mais apporte des réponses trop sectorielles, trop limitées. Plus de recherche en deep learning, plus de données en mode ouvert, plus de puissance de calcul disponible pour les scientifiques, cela ne constitue pas une réponse industrielle au retard colossal de la France en la matière.  Cela renforce la vassalisation de notre recherche aux intérêts des géants de l’Internet, GAFA ou BATX.

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D’ailleurs, le jour même, Google comme Samsung annonçaient la création d’un centre de recherche IA en France. Matière grise en France, subventionnée par le contribuable et profits à l’étranger, renforçant notre déficit commercial.

En un mot, le rapport Villani est un « plan calcul du deep learning ». Nous connaissons tous la suite.

C’est sévère. Alors pour rester compétitive dans ce domaine, que doit faire la France, notamment dans le domaine du hardware (et de l’open hardware) ?

La France doit investir massivement dans l’IA post deep learning, l’IA prévisionnelle, capable de raisonner et de planifier dans un univers incertain, avec des informations parcimonieuses et incomplètes. Une IA capable d’apprendre à partir de ses expériences sensorielles et de ses interactions avec les humains, intégrable dans des systèmes embarqués à basse consommation, autant qu’une lampe LED. Bref, une IA capable de s’adapter à des contextes variables en milieu ouvert.

Cela requiert de nouveaux hardwares à inventer, une nouvelle architecture post Von Neumann, couplant données et traitements et d’immenses facultés de parallélisation des tâches. Et bien sûr , une nouvelle façon de concevoir des algorithmes et de les implémenter. Le cerveau fournit un bon modèle qu’il s’agira de comprendre et de dépasser. L’Open Hardware, comme le RISCV , doit être au cœur de ce programme ambitieux car il ne s’agit pas de réinventer la poudre. Inspirons nous du programme Celerity de la DARPA.

La France doit mettre l’IA au cœur de ses formations qualifiantes, pour habituer les étudiants à mieux collaborer avec elles. Il s’agit d’offrir aux étudiants des « Legos » IA programmables et composables, le tout avec de l’open hardware et de l’open source. Il importe de créer une industrie des machines outils de l’IA, des IAs capables de fabriquer d’autres IAs plus spécialisées à partir de composants open source ou pas.

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Pensez à une IA de conception de circuits électroniques comme celle de Thingtype
couplée à une imprimante 3D de PCB comme celle de Nanodimension plus une IA de génération de logiciel. Il s’agit de construire des produits/services intégrant directement de l’IA et répondant à un cahier des charges précis. En un mot, la France doit maîtriser les outils pour bâtir ce que j’appelle « l’atmosphère IA», c’est dire des IAs massivement intégrées dans notre société.

Enfin, Elon Musk a dit « le meilleur moyen de se faire une petite fortune dans le domaine spatial, c’est de commencer avec une grosse ». Si tu avais aujourd’hui de l’argent pour financer des projets innovants, et je parle là du domaine de la défense et de la sécurité au sens large, que penserais tu financer ?

En toute cohérence, j’investirais massivement dans ces fameuses « machines-outils IA » permettant de produire des IA embarquées à vocation militaire, capables de remplir soit des missions de renseignement dans des drones miniatures de type libellule, soit des missions d’attaque en essaims avec des armes infrasoniques.

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Suite de mon parcours du forum DGA Innovation, avec cette fois-ci un petit focus sur le domaine optronique/image. En premier lieu, j’avais déjà parlé dans ce blog de la société HGH Systèmes Infrarouges, dans cet article où nous parlions de Spynel-M, une caméra pour la surveillance de sites critiques. Rappelons que la société n’est pas une inconnue : fondée en 1982, référence reconnue dans le monde de l’innovation technologique en optronique. A l’occasion du forum, la société montrait le résultat d’un projet RAPID baptisé PANORAMIR obtenu en 2014, qui visait à développer un capteur infrarouge 360° de très longue portée.

Suite au succès de ce programme de recherche (on rappelle que RAPID est un dispositif de financement de projets innovants par la DGA, RAPID signifiant Régime d’Appui pour l’Innovation Duale – voir ce lien) la société a mis sur le marché une nouvelle solution baptisée SPYNEL-X.

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Le système SPYNEL-X est l’IRST (Infrared Search&Track) avec la meilleure qualité d’image et, la meilleure portée de détection du marché. En effet, SPYNEL-X peut alerter de toutes intrusions humaines dans une zone de diamètre 16 km, 24h/24, 7j/7, et remplacer ainsi 90 caméras MWIR HD. Il s’agit d’un système passif, une caméra rotative permettant la capture vidéo sur 360 degrés, avec une résolution allant jusqu’à 120 Mpixels. Pour en avoir déjà fait l’analyse, il s’agit d’un système véritablement efficace, permettant de détecter des menaces complexes : hommes rampants, drones, systèmes aériens furtifs… La caméra est couplée au système Cyclope de détection avancée de mouvement fonctionnant sur des serveurs et ordinateurs portables standards.

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Les caractéristiques des différentes versions sont indiquées ci-après. A noter une nouvelle innovation signalée lors du forum : l’option V-LRF. La caméra thermique 120Mpix peut désormais être équipée d’une voie visible et d’un télémètre laser, pour faciliter la phase de reconnaissance après détection de menaces. L’utilisateur peut ainsi utiliser une fonction de zoom sur sa caméra visible haute définition, ou connaitre les données exactes relatives à la distance de la menace.

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Toujours dans ce pôle optronique, la société SOFRESUD présentait le résultat du projet RAPID DOUF (mais où vont-ils chercher ces noms ?) : un désignateur optique naval de menaces asymétriques. L’idée est de faire de la désignation d’objectifs de manière intuitive et portable. La Marine connait le principe de la désignation rapide d’objectifs depuis longtemps, avec le QPD (Quick Pointing Device), un dispositif (photo ci-dessous) permettant une désignation rapide pour la conduite de tir, afin de permettre l’autoprotection rapprochée des navires de la Marine Nationale. Il s’agit d’un complément de dernier recours aux systèmes automatiques électromagnétiques tel que le radar ou les systèmes optroniques comme les tourelles infrarouges.

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Le QPD est en service depuis les années 2000 dans la Marine Nationale et sur plus de 60 navires dans le monde. Suite au projet DOUF, SOFRESUD a développé le successeur du QPD, appelé IPD pour Intuitive Pointing Device, afin d’équiper les frégates La Fayette de la Marine lors de leur rénovation à mi-vie.

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Le système présenté sur la photo par Patrice Pla, directeur commercial chez SOFRESUD, permet l’acquisition optique d’urgence, l’identification et la désignation d’objectifs (menaces asymétriques en particulier, comme par exemple des zodiacs rapides) sur (par exemple) une passerelle de défense à vue de navires. Le système transmet en temps réel les coordonnées 3D de la cible, dispose de capacités de communications, permet l’imagerie tout temps, et dispose de capacités intégrées d’enregistrement audio et vidéo.

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Pour l’avoir pris en main, le système est relativement léger, et surtout d’un emploi intuitif immédiat. On peut imaginer des innovations au-delà de l’aspect naval, en particulier dans le domaine terrestre.

Enfin, une troisième innovation là encore dans l’optronique, mais cette fois-ci dans l’observation : le projet Plein Phare, issu d’un projet FUI (Fond Unique Interministériel) et présenté lors du forum par la société DxO. Il s’agit d’une technologie permettant de voir à contre-jour, ou en étant ébloui, grâce à la vidéo à grande gamme dynamique.

Le projet Plein Phare visait à étudier et développer une architecture de caméra High Dynamic Range (HDR) à bas coût « made in France » dédiée aux applications de surveillance, permettant de dépasser les limites actuelles de ce type de caméras, dans le respect des standards et d’un coût cible compatible avec ces applications. Le projet, outre DxO, rassemblait laboratoires (Le2i – UMR CNRS 6306, le CMLA de l’ENS Cachan) et d’autres industriels (Thales Communications & Sécurité, VITEC).

La problématique : visualiser des scènes où l’intensité lumineuse a une amplitude plus grande que celle que peut percevoir le capteur. Le système utilise la technologie dite HDR pour exploiter plusieurs images d’une même scène prises avec des réglages différents, en évitant par exemple ce que l’on appelle l’effet fantôme.

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En soi, le principe du HDR n’est pas nouveau, il est connu depuis longtemps en photographie, par exemple. Mais les caméras actuelles ont des limitations : c’était l’objectif de ce projet de les dépasser. Pour cela, les concepteurs ont développé un workflow complet, avec des algorithmes de traitement, d’analyse, de compression de données HDR, des nouveaux outils permettant de développer de nouveaux outils de mesure de la qualité vidéo adaptés à ce contexte, et enfin des composants électroniques spécifiques permettant de traiter en temps réel ces vidéos.

Comme vous l’aurez compris, je n’ai pu voir de démonstration, il n’y avait malheureusement (le jour de ma visite) qu’un poster et quelques photos, mais j’ai trouvé le travail suffisamment intéressant pour le mentionner ici.

Un forum intéressant donc, dont je ne peux rendre compte en totalité malheureusement, mais qui devient un rendez-vous incontournable chaque année, démontrant l’appétence et l’activité de la défense en France sur les problématiques d’innovation.

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Lors du voyage presse innovation du GICAT, une démonstration était présentée par Thales pour la seconde fois (j’avais pour ma part assisté à une première présentation lors de la journée innovation du groupe, sans pouvoir communiquer à l’époque sur le sujet). Il s’agit d’un gant tactique couplé à un gilet connecté, et capable de reconnaître la gestuelle du fantassin. Explications :

Lorsque (par exemple) une section d’infanterie doit réaliser une mission, elle est immergée dans un environnement potentiellement hostile dans lequel la discrétion est un impératif. Les commandements doivent être discrets, ils ne doivent pas permettre de révéler la progression des fantassins (ni d’un point de vue acoustique, ni d’un point de vue visuel), ni de permettre de déduire leur position.

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Cela pose un certain nombre de problèmes, notamment lorsque l’on se trouve dans une situation dans laquelle la ligne de vision est compromise, ou lorsque l’on « rate » le geste, au risque de devoir demander une confirmation par radio.

Des ingénieurs de Thales ont gagné un concours d’innovation interne, proposant une solution inventive à ce problème : l’utilisation d’un système permettant de reconnaître en temps réel les gestes des soldats, et de les propager à un système d’information opérationnel.

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Le projet ingénieux de François Kerautret et Benjamin Meunier repose en premier lieu sur un gant tactique connecté, relié à un gilet lui-même équipé de divers capteurs, notamment un GPS et une boussole. Il s’agit d’un équipement que les deux créateurs ont eux-mêmes développé à partir de composants sur étagère. Le gant, bardé de capteurs, est capable de reconnaître la gestuelle du combattant, et de l’interpréter en fonction d’un dictionnaire gestuel préétabli.

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Le principe de fonctionnement était bien mis en évidence par la démonstration réalisée lors du voyage presse innovation du GICAT. Elle consistait à représenter un groupe de 4 fantassins débarqués, dont un opérateur radio, chargé de sécuriser une zone infiltrée par des insurgés, et comportant des otages civils. Le système (représenté ci-dessous) permet de traduire les gestes du chef de section ou d’un GV (NB Grenadier-voltigeur), et de les propager directement au système d’information.

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Sur la photo ci-dessous, on voit l’interprétation du geste du GV, qui est à la fois directement transmise au système d’informations, et propagée en audio par le réseau radio via synthèse vocale. On peut ainsi indiquer une direction dangereuse,

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et faire passer des messages demandant une assistance ou une opération particulière. Comme le fantassin est géolocalisé, les personnels concernés par le contexte du message – et seulement ces derniers – sont avertis, et reçoivent l’information.

Le système de surveillance permet de qualifier l’état du porteur, avec une traduction automatique des gestes en messages textes (visualisés sur la droite de l’écran).

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Il peut être connecté à différents terminaux : « smart watch », ou terminal portable (on peut ainsi imaginer le connecter au système Auxylium, système de smartphone sécurisé développé pour l’opération Sentinelle à partir d’un projet d’innovation participative de l’Armée de Terre.

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Mais les fonctionnalités offertes par le système de Thales ne s’arrêtent pas là, puisque le gilet incorpore d’autres capteurs, capables par exemple de détecter que le soldat a dégainé son arme,

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ce qui permet de propager une mise en garde automatique pour le reste de la section.

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Ou encore un capteur de pression systolique et un capteur permettant de détecter la chute du porteur. Les fantassins étant généralement en très bonne forme physique, l’association de ces deux mesures permet d’établir une alerte et de demander immédiatement du secours sur zone (voir l’icône « critical » sur le SI simulé).

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Ce n’est pas la première fois qu’un tel système est développé (voir par exemple les travaux réalisés par l’UC San Diego Jacobs School of Engineering autour d’un gant connecté pour la reconnaissance automatique du langage des signes, ou la thèse de doctorat de Marc Dupont sur la reconnaissance gestuelle par gant de données pour le contrôle temps réel d’un robot mobile). En revanche, c’est la première fois à ma connaissance que le système est pensé pour une utilisation opérationnelle, et démontre sa capacité à s’intégrer au sein d’un système d’information tactique.

Il s’agit pour l’instant d’un « proof of concept » élaboré ; la phase suivante reposera sans doute sur les compétences internes de Thales, pour passer du prototype au produit, industrialiser un tel dispositif et justement l’intégrer au sein d’un SIO. Une belle réalisation, que je continuerai à suivre dans ce blog.

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La vision artificielle a fait des progrès considérables dans ces dernières années, avec certes le développement de nouveaux capteurs, mais aussi en raison de l’apparition à la fois de processeurs spécialisés adaptés spécifiquement à cette problématique, et de nouveaux algorithmes, capables de fonctionner en temps réel, ce qui était inconcevable il y a quelques années. Dans ce domaine, de nombreuses sociétés apparaissent, mais celle-ci semble développer une approche originale, et que je pense assez adaptée (je vous dirai pourquoi).

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Cortica est une société israélienne, issue du célèbre Technion, l’équivalent israélien du MIT. La société a été fondée en 2007 par trois chercheurs spécialisés dans l’informatique, l’ingénierie et les neurosciences, dont son dirigeant actuel, Igal Raichelgauz. Après avoir levé un financement d’environ 40M$, la société compte aujourd’hui une équipe conséquente de chercheurs en IA, mais également des experts militaires issus de la communauté israélienne du renseignement ( !) ce qui en dit long sur les applications visées.

L’approche de CORTICA est résolument inspirée par la biologie, et en particulier par le fonctionnement du cortex visuel primaire. Elle développe en effet une technologie d’apprentissage non supervisé (pour faire simple, je rappelle que l’apprentissage non supervisé a pour objectif de découvrir de la valeur dans des données qui ne sont pas structurées a priori, afin de réaliser une extraction de connaissances) afin de disposer d’une IA capable de comprendre l’image « comme un humain ».

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En gros, l’IA cherche à identifier par elle-même des caractéristiques, des motifs (patterns), des relations entre différentes images, et ce de manière autonome, l’ambition étant – je cite – de constituer « un index universel visuel du monde ». Pour ce faire, la société a conçu une architecture d’apprentissage qui s’inspire du cortex visuel primaire des mammifères – peu de détails ont filtré, mais on peut imaginer en particulier qu’il s’agit de coder ce que l’on appelle des neurones à spikes – pour une description plus détaillée, je vous propose de relire cet article.

Cette architecture cherche à permettre un apprentissage non supervisé par observation, ce que l’on pourrait appeler de l’apprentissage prédictif (c’est le terme employé par Yann le Cun, chercheur en IA et directeur du laboratoire parisien d’IA de Facebook). En gros, au lieu de devoir constituer de grosses bases de données d’images « labellisées », donc traitées au préalable afin d’expliquer au système ce qu’il est supposé reconnaître, on présente à l’IA des images, et – comme un nouveau-né qui commence à observer le monde – elle apprend progressivement le sens et les relations entre ces différentes images présentées. Si je crois particulièrement à cette approche et surtout à l’inspiration biologique du cortex visuel primaire, c’est parce que dans ma – de plus en plus lointaine – jeunesse, j’ai travaillé au sein du groupe de bioinformatique de l’Ecole Normale Supérieure sur le sujet de l’apprentissage et de la vision active, inspirée de la modélisation des colonnes corticales du cortex visuel primaire, et que les résultats préliminaires, alors limités par la puissance de calcul dont nous disposions à l’époque, étaient déjà encourageants.

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Cortica vise à déployer sa technologie en l’embarquant dans différents systèmes, qu’il s’agisse de véhicules autonomes, de systèmes automatiques d’analyse d’imagerie médicale, ou d’applications grand public. Mais on voit immédiatement le potentiel d’une telle technologie dans le domaine de la défense et de la sécurité. Le ROIM (renseignement d’origine image) a besoin de telles technologies afin de pouvoir très rapidement générer des « points d’attention » sur des images (images satellites, caméras de surveillance…) et leur donner du sens.

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Il s’agit donc d’une tendance de fond en IA, qui bénéficie directement à la Défense, et qui est d’ailleurs accompagnée par l’émergence de nouveaux moyens de calcul dédié. Google a présenté récemment son Tensor Processing Unit (ci-dessus, et voir ce lien) qui met en œuvre une accélération hardware des réseaux de type Deep Learning. Mais les réseaux de neurones à spikes – tels que ceux a priori mis en œuvre dans la technologie de Cortica – connaissent un développement important, également en France.

Nous avions parlé dans ce blog du projet AXONE (ci dessous) soutenu par la DGA. Simon Thorpe, le chercheur à l’origine de cette technologie, dirige le CERCO, Centre de recherche sur le cerveau et la cognition (Cerco) – rattaché au CNRS et à l’université Toulouse-III. Via la structure Toulouse Tech Transfer (TTT), il vient de céder une licence d’exploitation de sa technologie de reconnaissance à BrainChip, spécialiste des solutions de reconnaissance pour la surveillance civile et qui avait racheté en septembre la société Spikenet Technology.

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BrainChip utilisera cette technologie en vue d’optimiser son microprocesseur Snap, qui analyse en temps réel des flux vidéo. La tendance de fond semble donc se confirmer, avec de nouveaux acteurs en parallèle des Google, Facebook et autres géants, et avec des applications potentiellement considérables dans le domaine de la Défense et de la Sécurité. En attendant leur portage sur de futurs processeurs neuromorphiques, mais c’est une autre histoire.

Pour faire écho à mon récent billet d’humeur, on voit donc que les technologies d’IA commencent à atteindre un degré de maturité considérable, et suscitent un intérêt certain dans nombre de pays compte tenu des enjeux sous-jacents. A la France de maintenir et d’amplifier l’avance qu’elle possède dans le domaine.

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Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises de l’essor des armes à énergie dirigée par exemple dans cet article ou dans celui-ci. Le domaine est effectivement en plein développement, mais jusqu’alors, les tests ont été principalement effectués soit en laboratoire, soit sur des plateformes navales ou terrestres immobiles.

C’est donc avec un intérêt certain que les observateurs ont accueilli la démonstration qui vient de se dérouler sur le site de White Sands Missile Range, au Nouveau-Mexique. Elle consistait à utiliser un hélicoptère Apache afin de tester l’utilisation d’une arme laser connectée à une adaptation du système MSTS de Raytheon (l’essai ayant mobilisé des équipes de Raytheon, de l’US SOCOM – Special Operations Command – et de l’US Army).

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Pour mémoire, le MSTS – pour Multi-Spectral Targeting System, ci-dessus –  est une boule optronique qui équipe les drones comme le Reaper. Il intègre à la fois des capteurs infrarouges, des capteurs CCDTV, un télémètre laser et un illuminateur laser, le tout étant stabilisé sur six axes. C’est un système utilisé pour faire du renseignement et de l’observation, mais également afin de réaliser de l’acquisition et de la désignation d’objectifs (traditionnellement, il est utilisé pour le guidage terminal des missiles Hellfire).

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En l’occurrence, il s’agissait avant tout de valider le principe d’une arme à énergie dirigée équipant un hélicoptère, et utilisant un système de ciblage multi-spectral afin d’atteindre sa cible. Il s’agit bien d’une expérimentation : le laser équipant l’hélicoptère n’était pas un laser opérationnel, et d’ailleurs ni l’US Army ni Raytheon n’ont pris la peine d’en décrire les caractéristiques. Mais l’idée était de tester la faisabilité du concept d’une arme à énergie dirigée équipant un aéronef à voilure tournante. Dans le cas de l’hélicoptère Apache, compte tenu des points d’emport, le principe consiste à équiper l’hélicoptère d’un HEL (High Energy Laser), et de 12 missiles Hellfire (sur les points restants). L’image ci-après présente le concept.

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Le test a permis de recueillir un grand nombre de données et, selon Raytheon, les résultats sont encourageants. Le film ci-après montre l’expérimentation, et l’on voit bien qu’il s’agit d’illuminer la cible et de maintenir la focalisation du laser.

L’expérimentation a permis de valider la faisabilité du concept, dans un grand nombre de configurations d’altitude, de vitesse et de régimes moteur. L’intérêt est de pouvoir trouver des stratégies afin de stabiliser le tir, et de tester les difficultés inhérentes à l’emploi d’un hélicoptère (vibrations, présence de poussière, souffle rabattant du rotor…). Reste encore à régler le problème de l’arme elle-même (et notamment de la puissance embarquée nécessaire à son opération, un paramètre qui conditionne l’efficacité de l’arme.

En revanche, les avantages sont clairs : une excellente précision, une trajectoire rectiligne (à la différence des trajectoires balistiques classiques), et une discrétion visuelle et sonore… ainsi qu’une réelle économie si l’on prend en compte le coût d’un missile Hellfire (110 000$/unité).

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En revanche, un laser peut être réfléchi, dévié ou absorbé (même si réfléchir un laser à haute énergie requiert des matériaux composites difficiles à concevoir et à produire), et plusieurs armées (dont en particulier l’armée chinoise) sont en train de développer des contre-mesures adaptées aux armes laser – en particulier le JD3 – ci-dessus –  qui, outre ses caractéristiques d’arme à énergie dirigée, est conçue pour attaquer et neutraliser les désignateurs lasers ennemis.

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D’ailleurs, l’armée chinoise est en train de réfléchir à des tests analogues, en montant ses lasers JD3 et ZM87 sur des hélicoptères de type Z-19E Black Whirlwind  (ci-dessus).  Un phénomène malheureusement prévisible : pas d’armement sans course aux armements…

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A l’heure de l’ouverture du salon international de l’aéronautique et de l’espace au Bourget, voici une innovation qui nous vient (encore une fois, et j’en suis désolé) d’outre-Atlantique. L’idée a beau être simple, le concept est innovant : utiliser du métal liquide pour adapter une antenne unique à différentes fréquences.

Le problème est en particulier celui de l’emport d’une grande quantité d’antennes, chacune étant dévolue à une fonction et à une fréquence. Or sur un aéronef, le poids et l’encombrement sont des facteurs déterminants. Utiliser une antenne unique pour différentes fréquences et différents emplois est donc une solution séduisante. Pour peu qu’une antenne puisse le faire.

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Pour arriver à une telle prouesse, le AFRL (encore lui : le US Air Force Research Lab) a développé le concept d’une antenne remplie de métal liquide, reconfigurable, permettant d’émettre et de recevoir à différentes fréquences, et à différentes orientations.

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Le principe ? Incorporer des canaux avec différents motifs (ci-dessus) dans la structure même de l’avion, dans lesquels le métal liquide est injecté. Ce liquide est en fait constitué de nanoparticules de métal. Il s’agit d’alliages à base de Gallium, ayant le triple avantage d’être conducteurs, non toxiques (à la différence du mercure) et liquides à 30°C. Si on associe le Gallium avec d’autres métaux comme l’Indium, on peut encore abaisser le point de fusion ce qui permet d’avoir une antenne « malléable » à température ambiante. L’image ci-dessous montre la malléabilité d’un tel alliage.

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 L’équipe ayant démontré la viabilité du concept est composée des Drs. Jeff Baur et Michael Durstock « du « Materials and Manufacturing Directorate » et des Dr. Michelle Champion du « AFRL Sensors Directorate » et « Dave Zeppettella » du Aerospace Systems Directorate. Alors qu’une antenne traditionnelle n’opère que dans une fréquence donnée, en fonction de sa position et de sa taille, le métal liquide permet de moduler automatiquement – en théorie – l’antenne, et ses caractéristiques. Une telle antenne peut, en laboratoire, recevoir et émettre dans des fréquences comprises entre 70MHz et 7GHz. Pas mal…

La vidéo ci-dessous, qui date de deux ans, présente le concept.

Dans le domaine qui nous intéresse, le principe a été récemment démontré lors du DoD Lab Day du Pentagone. Et l’idée est de diriger en temps réel le métal à l’intérieur de la structure d’accueil afin d’adapter les fonctionnalités de l’antenne.

Pour aller plus loin, il faut que cette structure d’accueil soit elle-même flexible, de manière à pouvoir la déformer, la tordre ou l’étirer en fonction des caractéristiques souhaitées. Pour ce faire, l’AFRL travaille avec des structures comme NextFlex, spécialisées dans le domaine de l’électronique hybride flexible.

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La plus grande difficulté technique réside dans le contrôle de l’interaction entre le métal liquide et les structures électroniques d’accueil, et dans le fait de se débarrasser des résidus laissés quand le liquide quitte un canal pour être injecté dans un autre – ce qui peut provoquer des interférences.

Les chercheurs considèrent que le prototype de laboratoire a démontré la viabilité du processus, et que les futurs aéronefs pourraient bénéficier d’antennes en métal liquide d’ici 10 ans au maximum. Avec des retombées non prévues, comme par exemple des circuits électroniques à base de métal liquide, capables de s’auto-réparer. Les auteurs de science-fiction (voir Terminator 2) avaient donc du flair…

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Pour une fois, et cela fait plaisir, je fais un focus sur de l’innovation qui n’est pas originaire d’outre-Atlantique. Au passage, je rappelle que ce fort tropisme américain n’est en rien une volonté ou un parti-pris de ce blog, mais bien une conséquence des budgets impressionnants de R&D de défense dont disposent nos amis américains. Snif.

Lors d’une visite organisée avec le GICAT (Groupement des Industries de Défense et de Sécurité terrestres et aéroterrestres) et son équivalent allemand, le BDSV (Bundesverband der Deutschen Sicherheits- und Verteidigungsindustrie) – voir photo ci-après – j’ai pu constater de visu la grande qualité des réalisations technologiques de l’ISL.

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Rappelons que l’ISL (Institut Saint-Louis) est la plus ancienne coopération franco-allemande en matière de défense (elle hérite du LRSL créé en 1945, la création de l’ISL dans sa forme actuelle datant de 1959). L’ISL est une initiative conjointe de recherche franco-allemande, un schéma original et innovant, qui permet à cette institution de conduire des projets de recherche fondamentale, mais allant jusqu’à développer des innovations et de la recherche finalisée au profit des opérationnels.

Il fallait bien choisir un sujet parmi tous les projets de l’ISL. Donc, au menu pour cet article : les armes nouvelles, et en particulier les lasers et canons  électromagnétiques.

J’avais déjà mentionné à plusieurs reprises dans ce blog (voir par exemple cet article ) les armes à énergie dirigée, et en particulier les lasers. L’ISL travaille intensément dans le domaine, l’objectif des travaux réalisés par l’Institut étant de confirmer à la fois la faisabilité technique, et les bénéfices opérationnels escomptés pour ce nouveau type d’armes.

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En l’occurrence, la question posée est d’identifier une source pour une future arme laser. Or l’exercice est loin d’être simple. En premier lieu, la puissance doit être au minimum de 100kW moyens, pendant quelques secondes. Il est en effet irréaliste de devoir maintenir trop longtemps un faisceau sur une cible, faute de puissance.

Mais la difficulté ne s’arrête pas là : les chercheurs ont en effet un autre objectif, dont on parle peu : la sécurité oculaire. Car une arme laser, c’est potentiellement quelque chose qui peut à la fois blesser son utilisateur, et occasionner des dommages collatéraux importants. Le laser ne s’arrête pas au bout de quelques mètres : il peut parcourir des centaines de kilomètres et mettre en danger la population. Sans compter que les conventions internationales sont strictes : toute arme potentiellement aveuglante doit respecter le protocole de la Convention de Vienne (1980).

L’ISL a donc entrepris des travaux de recherche en 2006 pour trouver une source laser opérationnellement acceptable pour cette future arme laser. Ces travaux ont mené au développement d’un premier démonstrateur baptisé MELIAS II, en 2010, respectant ces contraintes. Il s’agit d’un laser de 5kW, dont j’ai pu assister à un tir impressionnant. Impressionnant car la plaque de bois a été perforée immédiatement (10 ms), et impressionnant car nous n’avions pas besoin de porter de lunettes : ce laser émet en effet à des longueurs d’ondes non dangereuses pour l’œil humain (supérieures à 1,4 micromètres). C’est ce que l’on appelle le domaine spectral à sécurité oculaire (en l’occurrence, l’acronyme MELIAS signifie Medium Energy Laser In the eye-sAfe Spectral domain).

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Depuis MELIAS II, l’ISL a développé MELIAS II+, actuellement en fin de montage. C’est un laser Er3+ YAG (Erbium-doped yttrium aluminium garnet laser) à capacité thermique, compact, simple d’emploi et à sécurité oculaire dont la puissance est aujourd’hui de l’ordre de 30kW, extensible à 100 kW. L’ISL a d’ailleurs développé une technologie de barillet permettant d’effectuer de nombreux tirs sans refroidissement.

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Il s’agit encore d’installations de laboratoire, mais les premiers tirs sont prévus à la fin de l’année 2017.  L’objectif : utiliser ce type de laser pour neutraliser des drones, ou des menaces de type RAM (Roquettes/Artillerie/Mortiers).

Parlons maintenant d’un autre type d’armes : les « railguns » ou canons électriques ou électromagnétiques. L’objectif est de propulser un projectile à environ 3000 m/s de vitesse initiale sans utiliser de poudre propulsive, en établissant une différence de potentiel électrique entre deux rails parallèles conducteurs. Lorsque le courant électrique circule entre les deux rails, un champ magnétique se crée, permettant d’accélérer le projectile. Nous en avions déjà parlé, en particulier dans cet article.

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Une telle arme possède des avantages indéniables : pas de nécessité de stockage de matériaux dangereux (c’est l’impact du projectile, donc uniquement l’effet cinétique, qui provoque la destruction, même si des projectiles explosifs peuvent être employés, et la propulsion ne nécessite pas de poudre), un tir très peu onéreux, une cadence élevée, de l’ordre de 50 tirs par seconde, et une portée très importante – le railgun de l’ONR américain vise ainsi à atteindre une portée de 300 à 400 km.

Dans ce domaine, la France (et l’Allemagne) n’est pas à la traîne. L’ISL a ainsi réalisé un démonstrateur, le NGL60 (car doté d’un calibre 60x60mm) : un tube mesurant aujourd’hui 2m (extension prévue à 6m) et muni de nombreux condensateurs (voir la photo ci-dessous). Si les canons américains, bien plus onéreux, ont une énergie de bouche aux alentours de 30 MJ (petit rappel : une mégajoule d’énergie est équivalente à l’énergie d’une voiture d’une tonne, voyageant à 160km/h), le NGL60 est déjà à 10MJ soit l’énergie typique du canon d’un char lourd. La technologie développée par l’ISL permet un fort taux de conversion d’énergie électrique en énergie cinétique (> 35%).

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Mais l’ISL a également développé un démonstrateur de canon électrique haute cadence. Baptisé RAFIRA (pour RApid Fire RAilgun), il permet de tirer des salves de cinq tirs consécutifs à une fréquence de 75Hz, sans nécessité de « gatling », c’est-à-dire sans devoir échanger le tube. L’intérêt d’une telle cadence est de pouvoir envisager un emploi antimissile (qui nécessite de dépasser le 50 Hz), chaque projectile subissant une accélération de plus de 100 000g ( !) et étant propulsé à plus de 2400 m/s.

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Au-delà, avec RAFIRA, l’ISL a développé un concept de salve « intelligente », permettant de gérer individuellement l’accélération de chaque projectile, pour anticiper une trajectoire ou au contraire faire arriver simultanément tous les projectiles sur une cible.

Bon, j’aurais aussi pu parler des « générateurs XRAM inductifs compacts, comprenant la source primaire d’énergie à accumulateurs lithium-ion et des commutateurs répétitifs haute tension à diélectrique liquide et à formation d’impulsions, permettant ainsi des largeurs d’impulsion inférieures à la nanoseconde et un champ de claquage record de 14 MV/cm. ». Mais comme je n’ai pas (tout) compris, je préfère laisser cela à la sagacité du lecteur averti (pour le coup, le texte vient du site de l’ISL).

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Pas besoin de cela pour convaincre des capacités de l’ISL. Même si c’est un peu loin – bon, très loin – lorsque l’on est comme moi parisien, il s’agit d’un lieu unique rassemblant dans un contexte de coopération multinationale des talents incontestables. Et des chercheurs passionnés.

 

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Encore un projet (de plus) porté par la (désormais trop) récurrente DARPA. Le Colosseum (Colisée en anglais) porte bien son nom : implanté dans le Maryland au sein du Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory (APL), il s’agit d’un nouvel équipement qui vient d’être mis en service. Et effectivement, il est impressionnant.

Son objectif : constituer un environnement expérimental permettant de créer et d’étudier de nouveaux concepts pour la gestion de l’accès au spectre électromagnétique civil et militaire. Très concrètement, il s’agit d’une pièce de 6mx10m, remplie de racks de serveurs. Pas vraiment impressionnant, du moins sur le plan physique. Dans le monde virtuel, c’est autre chose.

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Car le Colosseum est capable d’émuler plusieurs dizaines de milliers d’interactions possibles entre des centaines de terminaux sans fils : radios civiles et militaires, objets communicants, téléphones portables… C’est comme si l’on se trouvait dans un environnement d’un km2, empli d’objets communiquant simultanément et interagissant. Pour être encore plus clair, le Colosseum fait « croire » à ces radios qu’elles sont immergées dans un environnement donné, fixé par l’utilisateur : centre urbain, théâtre d’opérations, centre commercial, forêt vierge ou désert… Et il peut simuler plus de 65000 interactions entre 256 terminaux connectés, chaque terminal opérant comme s’il disposait de 100MHz de bande passante. En tout, le Colosseum manipule donc 25GHz de bande passante. Chaque seconde (oui, seconde), le Colosseum gère 52 Teraoctets de données. Pas mal…

Le Colosseum est une pièce centrale d’un projet baptisé SC2 pour Spectrum Collaboration Challenge, une compétition visant à changer radicalement la manière dont les futurs systèmes de communication sont conçus.

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En l’occurrence, au lieu de pré-programmer ces futurs systèmes (comme cela est réalisé aujourd’hui dans la totalité des cas), le projet SC2 vise à développer des nouveaux systèmes de communication adaptatifs, capables d’apprendre en temps réel en fonction de l’environnement, de leur historique d’emploi, et des interactions avec les autres systèmes de communication.

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L’idée est d’utiliser des technologies d’intelligence artificielle pour optimiser la stratégie de communication en temps réel : exploiter les failles dans le spectre électromagnétique, établir des partages de spectre, mettre en place des stratégies collaboratives permettant d’assurer la continuité et l’efficacité des communications entre plusieurs radios ou objets connectés. Les critères pour ce réseau radio « intelligent » de nouvelle génération (donc les règles du challenge SC2) sont de développer :

  • Un réseau radio reconfigurable
  • Un réseau capable d’observer, d’analyser et de « comprendre » son environnement (en termes de spectre électromagnétique)
  • Un réseau capable de raisonnement : quelle action entreprendre pour garantir une bonne communication dans un environnement donné
  • Un réseau capable de contextualiser : utiliser de l’apprentissage pour surmonter des aléas et exploiter au mieux le spectre électromagnétique
  • Un réseau capable de collaborer en travaillant avec d’autres systèmes, même nouveaux.

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Pour émuler un environnement permettant de tester et d’entraîner cette intelligence artificielle, le Colosseum utilise 128 SDR (software defined radios ou radios logicielles). Ces radios sont couplées à 64 FPGAs (on va simplifier : des processeurs reconfigurables – image ci-dessous) permettant de moduler le comportement des radios logicielles pour reproduire les environnements électromagnétiques ciblés. Et tout cela dans un environnement de type cloud, permettant à plus de 30 équipes de recherche d’accéder au Colosseum (5 équipes en simultané), pour la compétition SC2.

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Dotée d’un prix de 2 millions de dollars pour l’équipe gagnante, la compétition durera 3 ans, et s’achèvera donc début 2020 après trois phases, la dernière devant départager les deux meilleures équipes. Il s’agit une fois de plus de l’illustration de la créativité de l’agence, qui a souvent recours à ce type de « grand challenge » pour trouver des solutions originales et efficaces à des défis capacitaires. Pour plus d’informations, le site SC2 est ouvert et accessible en ligne: http://spectrumcollaborationchallenge.com/