Archives de la catégorie ‘Santé et médecine militaire’

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Comme promis, de retour de vacances (un peu agitées mais aussi très agréables compte tenu de mon actualité personnelle), je reprends le fil de ce blog. J’en profite pour vous assurer que même si je prends de nouvelles fonctions, je continuerai à animer VMF214, ne serait-ce que parce que cela me force à rester ouvert et curieux. J’en profite aussi pour vous dire combien je suis heureux et impatient de débuter ma nouvelle mission, dans ce domaine qui me passionne, et pour mon pays.

En attendant, voici un drôle d’oiseau. Baptisé Cormorant, il s’agit en réalité d’un robot, hybride entre un taxi volant du film « le cinquième élément » et d’un vaisseau de Blade Runner. Initialement baptisé AirMule (on voit pourquoi ils ont décidé de changer), le Cormorant est de conception israélienne, et développé par la société Tactical Robotics, une filiale de Urban Aeronautics Ltd. Située en Israel, à Yavne, elle est dirigée par le Dr Rafi Yoeli.

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Le Cormorant est un UAV (Unmanned Aerial Vehicle) militaire, destiné à porter des charges importantes de manière autonome. Ses capacités d’emport ? 764 Kg (soit 1681 lb), à une vitesse de 100 nœuds (185 km/h), et un rayon d’action qui dépend de sa charge utile, hors fuel (plusieurs centaines de km à vide, environ 50km avec une charge d’une demi-tonne). Il est propulsé par deux turbines soufflantes incluses dans la carlingue (connectés au moteur Turbomeca Arriel 2N) qui lui confèrent des capacités VTOL (Vertical Take-Off and Landing) avec un facteur de taille très compact en comparaison d’un hélicoptère classique (3,5m de largeur, 2m30 de hauteur, 6m20 de longueur), ainsi que par deux rotors horizontaux.

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En pratique, cela revient à emporter des charges lourdes (eau, nourritures, armement), ou plusieurs blessés dans le cadre d’une évacuation sanitaire, par exemple. Les concepteurs ont d’ailleurs prévu que le blessé, une fois embarqué, puisse être connecté via une liaison satellitaire à un centre de télédiagnostic ayant notamment accès à l’évolution de ses constantes vitales.

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De plus, le Cormorant est construit en fibres de carbone, ce qui permet de lui conférer une certaine discrétion radar (la signature infrarouge étant elle aussi réduite par l’emploi de systèmes de refroidissement par air, ce qui donne au Cormorant sa forme un peu étrange). Son système de stabilisation lui permet de résister à des vents de 40 nœuds, même si la vidéo du dernier essai du Cormorant montre que le vol ne doit pas être de tout repos, surtout pour un blessé – voir ci-dessous.

Pour assurer une certaine stabilité, un système original a été développé par Tactical Robotics. Il s’agit de micro-rotors en cascade situés à proximité des turbines soufflantes. Le souci ? Sans un système de stabilisation dynamique, le problème – connu – de ce type de turbine est une sensibilité trop importante notamment aux rafales et vents de travers. Le système imaginé par les concepteurs du Cormorant consiste à disposer des micro-rotors à proximité des turbines (aspiration et sortie), contrôlés électroniquement de manière à générer des forces contraires permettant d’équilibrer le véhicule.

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En ce qui concerne son pilotage, un plan de vol est rentré dans le système de préparation et de conduite de mission (deux valises tactiques avec leurs écrans) – une fois ce plan validé, l’opérateur peut laisser la bête en pilotage autonome, même s’il peut reprendre la main en cas de besoin. Bon, si vraiment il y a un gros souci, le système dispose tout de même d’un parachute avec un système de déploiement par fusée.

Ce type de véhicule semble donc appelé à se généraliser, qu’il s’agisse du côté autonome (drones en tous genres) ou du système de propulsion de type hoverboard. A ce sujet, une pépite française, la société Zapata, a développé un système impressionnant – voir ce post – qui pourrait sans doute être utilisé pour les besoins des Forces Spéciales. Un domaine à suivre, qui montre qu’au-delà des « robots tueurs » et autres fantasmes, la robotique opérationnelle est bel et bien un domaine en expansion, au service des opérationnels et au plus près du terrain.

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Il y a un domaine dont on parle peu, mais qui finalement est aussi important que la vision artificielle ou la robotique : il s’agit du son. La recherche et l’innovation en acoustique sont en effet au cœur des problématiques de défense et de sécurité, comme en témoignent les récentes « attaques » subies par des diplomates américains en Chine et à Cuba. On se rappelle que douze diplomates américains de l’ambassade de La Havane à Cuba ainsi que deux employés du consulat américain de Canton, en Chine, ont présenté sans raison apparente des symptômes similaires à ceux d’une commotion cérébrale, ainsi qu’une surdité subite. A tel point que l’on a parlé « d’attaques sonores » menées contre les diplomates.

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Si l’on pense qu’en définitive, de telles attaques sont en réalité le résultat d’interférences entre différents systèmes d’écoute et de transmission par ultrasons, il n’en est pas moins vrai que le son peut, en soi, jouer le rôle d’une arme. De telles armes « soniques », il y en a de plusieurs types. En premier lieu, celles qui utilisent les fréquences audibles par l’oreille humaine (entre 20 Hertz et 20 000 Hertz). De telles armes peuvent être utilisées par exemple comme outils non létaux pour dissiper une foule hostile – j’avais écrit sur ce sujet il y a quelques temps dans cet article.

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C’est par exemple le cas du LRAD-100X (l’acronyme correspond à Long Range Acoustic Device) qui utilise un dispositif de transduction piézoélectrique afin de créer un signal sonore concentré et amplifié, capable de calmer même l’individu le plus agressif en focalisant sur lui une onde sonore capable d’atteindre les 120dB (ou même plus – le souci étant qu’à 160 dB, vos tympans explosent).

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Les individus qui ont subi une attaque de LRAD mentionnent des symptômes insupportables (le sentiment que les sinus s’enflamment, un saignement des oreilles, une migraine tenace, et même la paralysie et l’insensibilité des parties du corps exposées au signal).

Voici une vidéo déjà ancienne, mais qui illustre bien l’utilisation du LRAD :

En mode infrasonique (en-dessous de 20 Hertz), le principe est le même, mais les effets sont plus… dérangeant puisqu’ils vont du sentiment de coup de poing dans le ventre, au sentiment de nausées et de migraines et jusqu’à… la libération involontaire du contenu de vos intestins (!).

Si l’on s’intéresse à l’autre extrémité du spectre, les ultrasons, les choses sont différentes. Car l’effet des ultrasons sur le corps ne se limite pas à l’audition. En premier lieu, ils ont tendance à chauffer le corps à la manière d’un four à micro-ondes, ce qui peut causer des dommages importants à nombre de cellules. Mais cela se combine à un autre phénomène, comparable à ce qu’il se passe dans le monde sous-marin : la cavitation. Lorsqu’une onde ultrasonique traverse le corps, elle peut générer une cavitation d’autant plus importante que l’onde est forte, ce qui génère la formation de bulles dans le corps, par exemple dans le liquide de l’oreille interne.

Toutefois, les ultrasons perdent rapidement de leur puissance avec la distance, ce qui les rends inadaptés à un emploi opérationnel, à moins de combiner plusieurs faisceaux. C’est d’ailleurs ce qui a pu se produire, de manière involontaire, pour les malheureux diplomates, pris dans des zones d’interférences entre plusieurs faisceaux ultrasoniques équipant des matériels d’écoute. C’est en tout cas la théorie qui prédomine aujourd’hui pour expliquer les prétendues attaques.

Innover dans le domaine sonore, c’est aussi essayer de capturer au mieux le son à des fins d’écoute ou d’espionnage. De nombreux dispositifs existent, et permettent par exemple « d’arroser » le visage d’une personne par des ultrasons, lesquels vont se réfléchir et être capturés ensuite par un dispositif audio classique. A la manière d’un radar, cette réflexion varie en fonction par exemple des mouvements de la bouche, ce qui permet ensuite de reconstituer la voix, en particulier dans des environnements bruités. On peut par exemple mentionner le système SAVAD pour « Super-Audible Voice Activity Detection » qui fonctionne sur ce principe.

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Dans ce domaine, l’intelligence artificielle (oui, encore elle) peut venir à la rescousse de l’espion. Tout d’abord en gommant les bruits parasites de fond. La revue Science vient en effet de publier un article dans lequel un système d’intelligence artificielle apprend à distinguer une voix en se guidant sur les mouvements des lèvres et sur l’analyse des différents sons. La combinaison « analyse des sons » et « analyse des indices visuels » semble se révéler bien plus efficace que l’analyse sonore seule. Pour ceux que cela intéresse, le système sera présenté au prochain SIGGRAPH.

Un autre usage de l’IA consiste directement à lire sur les lèvres. On rappelle en particulier que DeepMind, l’IA développée par Google, a développé il y a quelques temps une application de lecture sur les lèvres, entraînée à partir de 5.000 heures de programmes télévisés de la BBC.

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Le système est parvenu à un taux de réussite de 46,8 %, un chiffre très impressionnant si on le compare à la performance d’un expert humain entraîné (entre 12 et 20% de réussite). En particulier, le système semble plus robuste aux homophones (ver, verre, vert…), et peut consolider son analyse en généralisant la détection à partir de l’observation de plusieurs orateurs. De là à imaginer une IA observant à distance les lèvres pour capturer et reconstituer la parole, il n’y a qu’un pas;  guerre du son, intelligence artificielle, armes infrasoniques… les meilleurs auteurs de science-fiction n’ont qu’à bien se tenir.

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Connaissez-vous le tardigrade ? Ce petit animal invertébré (entre 0.1 et 1.5mm) est aussi appelé ourson d’eau (voir la photo ci-dessous). Il a un système nerveux, un système digestif, des yeux, des petites pattes griffues, et pond des œufs. Mais il est aussi capable d’entrer en cryptobiose, un état de stase ressemblant à une hibernation extrême.

Pour ce faire, il se rétracte et remplace l’eau de ses cellules par un sucre, le trehalose, et s’entoure d’une couche de cire. Il peut ainsi survivre pendant… eh bien un certain temps, puisque dans cet état il est presque immortel (contre une durée de vie naturelle maximale d’environ 30 mois). Dans cet état il survit dans l’espace (au passage, il joue aussi un rôle surprenant dans la dernière série Star Trek) en supportant des rayonnements, des températures extrêmes, des pressions incroyables. Un véritable super-animal.

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C’est ce qui a donné l’idée aux scientifiques fous de la DARPA (ce n’est pas moi qui le dit mais l’excellent livre « the department of mad scientists » ) de lancer le programme Biostasis.

Le slogan de ce programme est « slow life to save life » (ralentir la vie pour la sauver). L’idée est de contrôler, au niveau moléculaire, les catalyseurs responsables des réactions biochimiques dans les tissus et les cellules. L’inspiration du tardigrade n’est pas uniquement un effet de communication, les scientifiques comptent étudier de près le petit animal pour comprendre les mécanismes responsables de la cryptobiose et s’en inspirer. L’effet final recherché, comme on dit dans le monde militaire, est de pouvoir gagner du temps, notamment en cas de blessure grave sur le champ de bataille.

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L’enjeu est de pouvoir ralentir le métabolisme, sans faire appel à la congélation ou aux basses températures (d’où les guillemets dans le titre de cet article). Le responsable du projet, le Dr. Tristan McClure-Begley, n’est pas un inconnu, et travaille depuis longtemps dans le domaine du biomimétisme (l’inspiration de certains mécanismes et structures de la nature pour innover en ingénierie).

La difficulté, c’est que les traitements (moléculaires ou autres) doivent être synchronisés, et toucher tous les tissus et toutes les cellules en même temps, et avec la même efficacité. Et au sein de la cellule, les processus doivent être soigneusement choisis :  bloquer la respiration cellulaire par exemple ne ralentit pas les autres processus qui en dépendent, ce qui peut amener à un effet contraire : tuer la cellule. C’est pourquoi l’inspiration du tardigrade est importante : la bestiole a en effet la capacité de stabiliser de manière sélective la machinerie intracellulaire.

Le programme vise à identifier tous les vecteurs possibles de cryptobiose: de l’utilisation d’anticorps à l’emploi de techniques plus globales (dites holistiques) pour agir au niveau de l’ensemble de l’organisme. On n’en est pas encore là. Mais les crédits sont votés, le programme va être lancé, et si cela vous intéresse, la DARPA organise un webinar sur le programme – pour s’inscrire c’est ici jusqu’à demain (désolé).

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Ce qui m’amène à parler deux minutes de la DARPA. On voit bien l’intérêt de ce type de structures avec des projets véritablement de long terme à bas TRL (TRL = technology readiness level, une échelle créée par la NASA pour quantifier le niveau de maturité technologique). Car on confond souvent innovation et recherche amont. Il est en effet très important de pouvoir prendre du recul, et examiner des voies de recherche prometteuses même si la maturité technologique est basse, comme dans le projet Biostasis. Cela soulève nombre de questions : trouver les domaines à bas TRL spécifiques de la défense, ou surveiller les technologies de rupture à bas TRL dans des domaines qui peuvent bénéficier à la défense. C’est donc quelque chose de différent des « labs » dont tout le monde parle aujourd’hui (et qui sont bien évidemment nécessaires). Un lab dans la défense, cela sert principalement à expérimenter, accélérer le transfert vers l’opérationnel – c’est d’ailleurs une idée qui a été théorisée dans les années 1950. Pour le coup, le sujet est bien traité dans les armées et à la DGA, en collaboration avec la base industrielle et technologique de défense.

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Il ne faut donc pas confondre le modèle de la DARPA et le modèle des labs d’innovation (je le dis car c’est une véritable tendance à la confusion aujourd’hui). Si l’on souhaite donc avoir « notre DARPA », faute des 3.5 Milliards de dollars de budget de l’agence américaine, ce ne pourra sans doute pas être une « DARPA à la Française » – cela devra se faire avec nos partenaires Européens. Cela est-il acceptable, faisable ? Quelles seront les mécanismes assurant que les intérêts français dans un tel cas seront préservés ? Toutes ces questions devront être traitées, mais on ne peut, je pense, éviter le débat. Faute de quoi, nous raterons les prochaines innovations de rupture, et serons exposés à des surprises stratégiques majeures.

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Dans le contexte de l’augmentation des capacités du soldat, on parle beaucoup de l’utilisation de substances pharmacologiques permettant de stimuler l’endurance ou la concentration. Cela pose évidemment de nombreux problèmes éthiques (une préoccupation que nos pays partagent, au passage, ces barrières morales sont sans doute inexistantes pour nos ennemis, voire certains de nos alliés). Mais d’autres voies sont à l’étude, et notamment une technique appelée stimulation électrique transcrânienne directe.

Cette technique a été étudiée depuis de nombreuses années, dans le cadre de la recherche de solutions à la surcharge cognitive ou surcharge informationnelle. Pour faire simple, durant des opérations militaires complexes ou de haute intensité, les opérateurs sont supposés effectuer plusieurs tâches simultanées dans un contexte de stress, et en traitant des masses importantes d’information. Arrive un point où le cerveau, en surcharge, « décroche », et n’est plus capable de traiter les nouvelles informations qui lui parviennent.

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Pour pallier ce léger inconvénient (!) plusieurs solutions ont été expérimentées, comme – on le disait plus haut – l’administration de substances comme la ritaline, avec des effets secondaires massifs (en gros, cette drogue qui est utilisée pour traiter les symptômes d’hyperactivité et de déficit de l’attention, provoque une dépendance analogue à la cocaïne). La recherche s’est donc orientée vers d’autres voies, en particulier la stimulation électrique du cortex préfrontal, appelée stimulation électrique transcrânienne (en anglais, TCDS pour transcranial direct current stimulation). Les premières expérimentations ont été réalisées en 2016 par les chercheurs de l’US Air Force et de Wright State University (WSU), et ont été publiées dans cet article.

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L’idée est de stimuler à l’aide d’électrodes placées sur le crâne la région correspondant au cortex préfrontal gauche, une zone siège de l’attention, de la planification, de la mémoire de travail et du raisonnement. Un courant de 2mA est appliqué pendant une durée allant de 10 à 35 minutes. Lors des premières expérimentations (utilisant un test attentionnel appelé Multi-Attribute Task Battery (MATB) développé par la NASA – voir image ci-dessous), un groupe ayant reçu la TCDS a très nettement surpassé le groupe témoin.

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Visiblement, le procédé permet au cerveau de stocker plus efficacement les données en mémoire de travail, permettant au sujet de se concentrer sur les nouvelles informations au lieu de constamment passer en revue l’ensemble des signaux de l’environnement. Une étude publiée en 2013 avait montré des effets analogues sur la concentration et la performance d’analystes chargés d’étudier des images de type SAR (Synthetic Aperture Radar) – voir cette référence.

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Si dans cette première étude les chercheurs ont utilisé un système de stimulation baptisé MagStim NeuroConn DC Stimulator – ci-dessus – des expérimentations plus opérationnelles ont également été engagées, notamment auprès des forces spéciales (team six) ou des pilotes de drone. Car ces derniers sont soumis à des tâches longues, fatigantes, stressantes, à un point tel que l’armée américaine a décidé de diviser par deux le nombre de missions planifiées par an, afin d’éviter un « burn-out » de ses pilotes.  Dans ce cas précis, certaines études montrent que la concentration des pilotes peut être maintenue pendant 20h en appliquant la TCDS, alors qu’un groupe test montre déjà des signes de baisse de l’attention au bout de 20 minutes.

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Ces nouvelles expérimentations utilisent un autre type de stimulateur construit par la société Halo Neuroscience – ci-dessus – un casque muni de piques de silicone, enduites d’une solution saline, et capable de stimuler (sans doute moins précisément que dans l’étude de la WSU) le cortex préfrontal. L’armée américaine espère que ce nouveau facteur de forme permettra – si l’expérimentation est concluante – d’utiliser la TCDS « in situ », éventuellement sur un pilote de chasse en situation de pilotage. Pour l’instant, il convient encore d’être prudent, et de valider les effets à long terme – positifs ou négatifs – d’un tel procédé.

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Pour ceux d’entre vous qui ont vu le film Ocean’s Thirteen, vous vous souvenez peut-être d’une scène dans laquelle un membre de la bande, faux croupier, doit passer au détecteur de mensonges pour se faire recruter. Pour le tromper, il introduit une punaise dans sa chaussure, qu’il presse contre le pied à chaque fois qu’une question gênante est posée. La vive douleur provoquée permet de camoufler la fausse réponse donnée, le polygraphe (détecteur de mensonge) n’y voit que du feu.

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Pure imagination de scénariste ? Non, une bonne connaissance du système nerveux, et une technique appliquée de camouflage des émotions. Car il est complexe de mentir sans se trahir, et certains experts ont fait leur spécialité de démasquer les menteurs par des techniques, outillées ou non, de sciences comportementales appliquées.

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C’est le cas de la société strasbourgeoise OTHELLO, récemment labellisée dans le cadre du programme GENERATE d’accompagnement des start-up innovantes pour le domaine aéroterrestre et de la sécurité lancé par le GICAT, programme dont nous avons déjà parlé (voir cet article).

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OTHELLO est une petite société récemment lancée par deux associés (en 2015) en fédérant les travaux d’une équipe de chercheurs en sciences sociales. Elle dispose d’un réseau d’une dizaine d’experts en sciences comportementales. Dirigée par Camille Srour, photo ci-dessous, un homme à qui il est difficile de mentir (et pour cause), son objectif est de proposer des prestations de services et de conseil dans le domaine des sciences comportementales.

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Mais au-delà de l’expertise incontestable de ses dirigeants, la société développe également des technologies d’automatisation de mesure des comportements verbaux, paraverbaux et non verbaux – en particulier, la via mesure automatique des expressions faciales d’émotions sur une vidéo.

Car notre expression nous trahit. Déjà, le célèbre psychologue américain Paul Ekman avait répertorié plus de 10 000 mimiques faciales universelles trahissant nos émotions. Ces micro-expressions, durant en moyenne 0.25 sec, sont caractéristiques, et peuvent être exploitées pour déterminer l’état de la personne examinée. C’est d’ailleurs le fondement d’une discipline appelée « mentalisme » dans laquelle certains magiciens (qui sont en fait des experts entraînés en sciences comportementales) devinent le nombre, le mot ou la carte que vous avez choisie. Pour ma part, j’aime bien les spectacles de Fabien Olicard : si vous voulez vous détendre un peu, voici un extrait de ce qu’il est possible de faire en utilisant cette technique.

Mais revenons à OTHELLO. La société s’est fait une spécialité de détecter, qualifier et mesurer les comportements. Pour cela, elle s’appuie sur une méthodologie éprouvée et surtout validée scientifiquement. Elle a mis également en place des outils, comme le montre l’image ci-dessous présentant l’analyse automatique des expressions non verbales (détection des émotions).

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Et OTHELLO a appliqué notamment cette approche durant la campagne présidentielle, non seulement en analysant les postures et gestes des candidats eux-mêmes, mais aussi en mesurant les émotions d’un panel de 211 électeurs. Leurs expressions faciales ont ainsi été enregistrées seconde par seconde via leurs webcams pendant qu’ils regardaient des extraits des 5 principaux candidats (E. Macron, M. Le Pen, F. Fillon, J-L . Mélenchon et B. Hamon). Car les fondateurs du groupe OTHELLO sont certifiés FACS (Facial action coding system) et ont appliqué cette méthode (définie par Paul Ekman) entre autres outils pour déterminer automatiquement les contractions ou décontractions du visage et émotions associées. Ils utilisent également les analyses de Daniel Kahneman, prix Nobel 2002.

Le résultat est bluffant : après le premier tour, les experts ont montré (scientifiquement) qu’Emmanuel Macron semblait être le seul candidat à susciter un vote enthousiaste, tandis que le vote Marine Le Pen demeurait un vote contestataire.

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OTHELLO était également présente lors du dernier salon SOFINS, car dans le domaine de la défense et de la sécurité, les techniques employées sont bien évidemment critiques. Ainsi, on pourrait imaginer détecter automatiquement des informations utiles pour un service de renseignement, en analysant des informations en source ouverte, images, vidéos, sons et en utilisant les techniques précédemment énoncées. Celles-ci ne se limitent pas à l’image ou à l’analyse des émotions : en fusionnant l’analyse de données multiples, il s’agit de pouvoir extraire de l’information sémantique utile.

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Cela pose donc les jalons d’une plate-forme d’analyse de données multi-sources, utilisant des techniques d’analyse comportementale évoluées. Bon, je ne rentre pas dans le détail des premières idées d’applications, pour des raisons évidentes.

Au-delà, il est intéressant d’utiliser ces techniques afin de former agents aux méthodes scientifiques de Détection du mensonge en entretien – c’est l’une des spécialités d’OTHELLO. Une autre idée: l’aide à la négociation en situation de crise, afin d’avoir une évaluation fine de l’état mental de la personne avec qui on négocie.

La proposition de valeur de la société? Construire des modèles statistiques d’aide à la décision, spécifiquement adaptés à chaque situation de terrain, et permettant de distinguer mensonge et vérité à des taux supérieurs à 75%. Pas mal…

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Et notre polygraphe peut-il être trompé comme dans la scène du film Ocean’s 13 ? Eh bien oui, car la douleur, comme d’autres effets physiologiques, semblent jouer un rôle dans l’inhibition des manifestations externes du mensonge. Dans le blog de l’équipe d’OTHELLO, on découvre par exemple qu’une étude a démontré que le fait d’avoir envie d’uriner aiderait à mentir plus efficacement. C’est un effet baptisé ISE pour Inhibitory-Spillover-Effect : réprimer son envie pressante permettrait d’inhiber la tendance naturelle à dire la vérité, les zones cérébrales concernées par les deux effets étant partagées (notamment dans le cortex préfrontal et le cortex cingulaire antérieur). Une technique à utiliser avec modération, bien évidemment…

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Au cours d’un déplacement à Washington, j’ai eu le privilège de visiter les laboratoires Battelle, et de voir une présentation d’un système innovant de collecte et d’identification des menaces chimiques et biologiques…Du coup, je ne résiste pas (après avoir analysé un peu plus finement le système), à en parler dans ce blog.

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Battelle est une société peu connue du grand public, mais passionnante, un croisement entre entreprise, laboratoire et fondation à but non lucratif (mais avec des filiales qui, elles, n’ont pas cette limitation, je vous rassure tout de suite). Un OVNI fondé par Gordon Battelle en 1929, un industriel dans l’acier, qui a souhaité léguer sa fortune pour « utiliser la science et les découvertes technologique afin de faire avancer la société »… J’avais déjà eu l’occasion d’en parler dans cet article… Battelle est impliquée dans un grand nombre de projets, dont notamment le « drone defender », un système permettant de brouiller le GPS et de pirater la liaison sol d’un drone pour en prendre le contrôle à distance (ci-dessous).

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Mais revenons à REBS. L’acronyme signifie « Resource Effective Bio-Identification System » – il s’agit d’un laboratoire mobile autonome, capable de collecter les particules dans l’air ambiant et d’en réaliser l’analyse. Pas besoin d’épiloguer sur les applications, l’actualité montre cruellement la prégnance de telles menaces. Le système fournit une analyse des menaces de type bactéries, virus, aérosols chimiques, et toxines, sans avoir besoin de recourir à un laboratoire ou un service extérieur. Le constructeur annonce une capacité de reconnaissance de 100 menaces différentes en moins de 15mn.

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Le système est particulièrement compact (il mesure 46x30x30 cm et ne pèse que 16kg). Il est muni de batteries capables lui assurer une autonomie complète de 18h. Son fonctionnement repose sur la spectroscopie de type Raman. Pour faire simple, la spectroscopie Raman (du nom de son inventeur), est une technique d’analyse non destructive, fondée sur la détection des photons diffusés suite à l’interaction d’un échantillon avec un faisceau de lumière monochromatique. En gros, on éclaire un échantillon au laser, et sa diffraction caractérise sa nature – cela permet d’analyser tous les matériaux (même gazeux) par la signature de diffusion d’un laser optique.

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Dans le cas de REBS, les concepteurs ont à la fois travaillé sur l’automatisation du processus de spectroscopie, et l’optimisation de la collecte des échantillons dans l’air ambiant. L’identification des éléments biologiques (bactéries ou virus) se fait par l’analyse spectrale de la membrane cellulaire, de l’ADN ou de l’ARN présent, du contenu intracellulaire ou encore des capsides ou enveloppes virales. Pour les molécules, les liaisons, ou la conformation moléculaires participent également à l’identification. Celle-ci repose sur une approche en trois phases : discrimination « composant organique ou inorganique « (en 0.1s), discrimination « composant biologique ou non » (en 10 s) et identification de la nature de la menace (50 s). On obtient à la fin un signal caractéristique de la menace (ci-dessous, signature spectrale d’une bactérie de type Bacillus Subtilis)

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Le système conserve chaque échantillon (il fonctionne comme un ruban, enchâssé dans une cartouche, qui collecte des échantillons et les soumet à l’analyse spectrographique). L’image ci-dessous montre les différents composants du système, ainsi que la cartouche de collecte. Le bidule noir qui ressemble à une cheminée est le système d’aspiration et de collecte des aérosols.

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En cas de détection positive, l’échantillon concerné peut être soumis à un autre laboratoire pour une confirmation en utilisant d’autres techniques (comme une analyse d’ADN par exemple). Et Battelle annonce un taux de fausses alarmes presque nul. En outre, le système est particulièrement économique puisque son coût d’exploitation est annoncé à 1 dollar par jour (sans coûter le coût d’acquisition, aux alentours de 100k$ par système)!

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Il s’agit donc d’un outil nouveau et performant, qui peut également fonctionner de manière connectée, en tant que noeud d’un réseau de stations de surveillance. Mais il n’y a pas de mystère : Battelle travaille sur le développement de son système depuis…2009 !

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Quand le général Barrera dans son livre (que je vous recommande vivement) « Opération Serval, une brigade au combat », décrit les conditions de la mission au Mali, on a du mal à s’imaginer les conditions hallucinantes dans lesquelles nos soldats ont combattu. En particulier, on retient l’extrême dureté des missions dans l’Adrar des Ifoghas, une zone située au Nord-Est du Mali. Le général Barrera, alors commandant des forces terrestres de l’opération Serval, évoque un terrain extrêmement difficile, avec une température de 50°C le jour, et ne descendant parfois pas en-deçà de 45°C la nuit.

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Dans de telles conditions, la déshydratation est un des principaux dangers menaçant l’intégrité physique de combattants (admirables au sens premier du terme) : la charge des parachutistes ayant ainsi traversé l’Adrar par les crêtes en 4 jours, sous de telles températures, dépassait les 50kg!

Il est donc vital de pouvoir avoir une idée du réel état de déshydratation d’un fantassin – mais il faut le faire sans gêner ses mouvements, sans ajouter du poids, sans perturber ses actions. Les chercheurs de l’université de Champaign Urbana dans l’Illinois viennent de présenter un dispositif qui pourrait bien répondre à ces contraintes.

Il s’agit d’un véritable « patch-laboratoire » : un dispositif collé sur la peau, qui capte la sueur par de petits capillaires. Ces derniers l’amènent au centre de ce curieux patch, où l’on trouve quatre pastilles. Il s’agit en réalité de zones contenant des enzymes réagissant à la composition de la sueur en termes de taux de glucose, acide lactique, pH et chlorure de sodium.

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Lorsque ces enzymes réagissent en fonction de l’évolution de ces paramètres, les zones réactives changent de couleur. Il suffit de prendre une photo avec la caméra d’un smartphone, et une application permet alors d’établir un diagnostic et d’alerter sur les signes de déshydratation avant que les symptômes n’apparaissent.

Pour l’instant, le patch microfluidique peut être utilisé pendant 6h d’affilée (un peu court), sans se dégrader ni se décoller. Toutefois, par comparaison avec d’autres approches à base de bracelets électroniques (ci-dessous), le patch ne gêne en rien les mouvements, le poignet restant libre.

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Il s’agit encore d’un travail de recherche : une expérimentation a été menée à Tucson, en Arizona, en collaboration avec l’US Air Force et la base de Wright-Patterson. Et les auteurs doivent encore travailler sur le développement d’une application permettant d’établir très simplement et rapidement le diagnostic, et de le présenter à l’utilisateur.

Reste à voir comment une telle innovation peut être utilisée en opérations, le fantassin portant rarement un smartphone sur lui. Il faudra donc sans doute trouver un moyen de rendre le changement des couleurs plus « parlant » afin que le diagnostic puisse s’établir simplement en regardant l’évolution du patch. Une approche intéressante néanmoins, qui devrait être financée à la fois par la défense américaine, et par « un fabricant de boisson énergétique ». Devinez qui a le plus gros budget….

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Note : le rythme de ce blog est un peu ralenti, étant actuellement en Floride à l’occasion du salon IITSEC. Je prie mes lecteurs de bien vouloir m’en excuser.

Je poursuis mon petit compte-rendu du Forum DGA innovation avec un projet présenté par l’Institut Saint-Louis (ISL) et le laboratoire COTRAL (ARTA Group). Il s’agit d’un système permettant à la fois de protéger les oreilles du combattant des bruits fatigants ou dangereux, et de communiquer par voie intra-auriculaire.

J’avais déjà parlé dans ce blog du projet TCAPS (tactical communications and protective system) financé par l’Armée américaine, ayant permis de développer le dispositif INVISIO X50. L’objectif était de protéger les oreilles du combattant, via des écouteurs jouant le rôle de bouchons d’oreilles en laissant passer les communications, mais en stoppant  les bruits traumatisants (voir mon article ici). TCAPS est capable de se connecter à une radio ou à un smartphone, pour permettre d’utiliser également le bouchon d’oreille comme écouteur.

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J’avais également mentionné le casque HOPLITE de la société française Elno, qui devrait être bientôt mis sur le marché – la vidéo ci-dessous en présente le concept.

Au forum DGA Innovation, c’est une autre approche française qui a été présentée. Le projet s’appelle BANG pour Bouchon Auriculaire de Nouvelle Génération. Il consiste en un bouchon auriculaire actif, comportant deux microphones (interne et externe) et un haut-parleur. Sur la photo ci-dessous le système est disposé sur une tête artificielle développée par l’ISL pour tester l’exposition aux bruits.

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Le dispositif autonome est relié à un boîtier réalisant l’analyse et le traitement des signaux. L’objectif est double : utiliser un dispositif de suppression active de bruit, capable de diminuer les signaux sonores fatigants en continu (avec la possibilité de définir un seuil journalier), mais également capable de réagir instantanément à un bruit traumatisant (départ de coup, explosion, tirs…).

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Mais là où le système va résolument plus loin que TCAPS, c’est qu’au-delà de ses capacités de protection, c’est également un système de communication intégré, sans microphone externe. On communique avec ses oreilles, en quelque sorte.

Le système est en effet muni de deux microphones, permettant à la fois de capter les bruits ambiants (et de comparer le bruit externe et interne), mais aussi de diffuser la parole du combattant. Le soldat muni du dispositif parle, sans micro externe (donc sans bruits parasites),  et sa parole est captée via les vibrations du tympan. Les concepteurs du système à l’ISL et chez Cotral travaillent également sur la spatialisation du son diffusé, permettant de différencier les interlocuteurs par un son émis à gauche ou à droite du bouchon d’oreille.

Il s’agit du résultat d’une étude amont financée par la DGA. Le système est aujourd’hui en phase de pré-série. Le laboratoire Cotral va ainsi produire une trentaine d’exemplaires qui seront testés par l’ISL avec le soutien de la section technique de l’Armée de Terre (STAT) dès janvier 2017.

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Il reste maintenant à espérer que ce produit coûtera moins cher que son « concurrent » américain (même si les fonctions ne sont pas identiques). Car ce dernier est commercialisé à 2000$/pièce, un prix qui ne permet pas d’envisager sa généralisation à l’ensemble des soldats. Le combattant peut en effet être augmenté, en ce qui concerne son porte-monnaie, c’est plus problématique…

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Non, ce n’est pas de la science-fiction (encore une fois). On le sait depuis longtemps, la DARPA s’intéresse de près au principe de l’hybridation neuronale, et en particulier de la stimulation du cerveau associée au contrôle de prothèses de membres. Elle a en particulier développé une nouvelle prothèse « neuro-technologique » pouvant être contrôlée par la pensée du patient, dans le cadre du programme « Revolutionizing Prosthetics ».

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L’idée était alors de donner un contrôle presque naturel de ces prothèses (en l’occurrence des bras artificiels) en permettant un contrôle cérébral du mouvement, mais également un traitement des informations des capteurs (comme le sens du toucher via des capteurs placés au bout des doigts artificiels). Pour ce faire, les chercheurs ont créé des micro-implants cérébraux connectés au cortex moteur et au cortex sensoriel des patients. Et cela a marché : ces derniers ont pu contrôler leurs mouvements et ressentir des sensations au bout de leurs « doigts ». La vidéo ci-dessous illustre le concept.

En développant cette technologie (déjà impressionnante), les chercheurs en sont venus à s’intéresser à la plasticité neuronale, c’est-à-dire à la capacité à créer et réarranger des connexions dans le cerveau. Lors d’un nouvel apprentissage ou d’une nouvelle expérience, le cerveau établit une série de connexions neuronales, qui correspondent à des routes pour l’intercommunication des neurones. Après l’acquisition de nouvelles connaissances et la pratique, la communication entre les neurones impliqués est renforcée : la plasticité synaptique (cette capacité à réorganiser les communications entre neurones) comme la neurogenèse jouent donc un rôle clé dans l’apprentissage.

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En travaillant sur les implants pour le contrôle de prothèses, les chercheurs de la DARPA en sont venus à s’intéresser à la stimulation du système nerveux périphérique, cette stimulation étant justement créatrice de neuroplasticité. Au 4th Annual Defense One Summit, conférence annuelle ayant lieu à Washington, la directrice de la DARPA, Arati Prabhakar, a annoncé que l’agence s’engageait dans cette voie de recherche : stimuler par des micro-implants le système nerveux pour accélérer les capacités d’apprentissage du cerveau. Il s’agit de réactiver ce que l’on appelle la « période critique » : la période pendant laquelle le cerveau d’un être humain est plus plastique, plus adaptable, et capable d’apprentissage rapide.

Cet « homme augmenté » (au sens générique du terme, bien entendu) pourrait ainsi apprendre une langue étrangère aussi rapidement qu’un jeune enfant, créer des super-cryptographes (l’idée est vraiment de la DARPA) ou récupérer rapidement ses fonctions après une lésion traumatique.

Ce nouveau programme a été baptisé TNT (!) pour Targeted Neuroplasticity Training. Son objectif précis est « d’accélérer le rythme et d’optimiser l’efficacité de l’apprentissage (entraînement des capacités cognitives) par l’activation précise des nerfs périphériques pouvant agir sur le réarrangement et le renforcement des connexions cérébrales » (ouf).

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La DARPA vise à développer une plate-forme technologique autour de ce concept, au travers d’une approche itérative. La première phase vise à mieux comprendre les liens entre stimulation du système nerveux périphérique, accélération de l’apprentissage et fonctions cognitives (en évitant les effets collatéraux). Une phase d’ingénierie visera alors à développer un système (au moins au début) non invasif permettant la stimulation ciblée du système nerveux. Le but est d’accélérer le rythme de l’apprentissage, mais aussi de garantir la consolidation à long terme des informations acquises.

Pour ce faire, la DARPA lance un appel à collaboration (vous le trouverez ici ) en espérant rassembler une équipe pluridisciplinaire d’ingénieurs, de neurobiologistes, d’informaticiens, de spécialistes en sciences cognitives et en ingénierie biomédicale.

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Avec son budget annuel supérieur à 3 milliards d’euros, la DARPA montre encore une fois une capacité à investir dans des voies de recherche multiples et risquées. Comme le disait Oscar Wilde, « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec on atterrit dans les étoiles ». Encore faut-il avoir le financement permettant de construire la fusée…

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Connaissez vous le biomimétisme ? C’est l’inspiration puisée dans la Nature pour résoudre des problèmes d’ingénierie complexe. Les exemples sont nombreux : par exemple, l’imitation du motif de la carapace du scarabée de Namibie pour développer une gourde capable de se remplir en plein désert en capturant l’eau présente dans l’air ambiant (voir ci-dessous).

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On peut citer de nombreux exemples. L’un des plus connus est l’imitation des rémiges à l’extrémité des ailes des rapaces. Ces plumes écartées leur permettent de diminuer les tourbillons de traînée , et ont donné naissance au développement des « winglets », ces ailerons situés en bout d’aile sur tous les avions modernes. On peut également citer la structure des pattes du gecko pour créer des adhésifs nanométriques, capables de donner naissance à de véritables fantassins-araignées (voir cet article). Ou la plume du pingouin pour créer des nouveaux joints thermiques pour la rentrée des capsules spatiales dans l’atmosphère… les exemples sont donc légion. Mais dans les applications pour le domaine de la défense, la championne incontestable est la crevette-mante religieuse (connue également sous les noms de crevette-pistolet, crevette-paon, ou squille), et j’ai trouvé intéressant d’en faire le sujet de cet article.

Ce petit crustacé, de la taille d’une langoustine, est capable de vous casser une main sans aucun problème (d’ailleurs en anglais, on l’appelle « thumb splitter » – autant dire qu’il faut savoir le saisir). Car la bestiole possède deux organes semblables à des marteaux qu’elle utilise pour pêcher ses proies. C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne la voit jamais dans un aquarium : elle tuerait tous les autres occupants sans aucun problème (et les plus gros spécimens, de 20cm, pulvériseraient l’aquarium lui-même). Le rapport avec la Défense ? J’y viens…

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Les marteaux en question sont eux-mêmes assez sophistiqués; à l’échelle nanométrique, ils sont composés de chitine, un matériau que l’on retrouve chez de nombreux arthropodes. Mais chez notre crevette, la chitine du marteau est cinq fois plus dense que le reste de son corps et organisée de telle manière à dissiper l’énergie, ce qui lui permet de ne pas se blesser (pour être précis, chaque marteau est composé d’un sandwich de chitosane et d’hydroxyapatite). Car le coup part à la vitesse d’une balle de calibre 22, créant une telle onde de choc que notre crevette assomme toutes les créatures à moins de 80cm d’elle.  Je vous conseille cette vidéo de l’attaque d’un poulpe par une squille. Impressionnant.

Chaque marteau frappe avec une force colossale de 1500 Newtons.  L’impact est si violent qu’il engendre des étincelles.Ces étincelles ont été étudiées par spectrographie. Leur température est proche…de celle de la surface du Soleil. Notre petit crustacé, outre l’onde de choc, crée donc une véritable explosion, qui engendre une bulle de vapeur (en gros, l’eau bout au point d’impact). C’est ce que l’on appelle la supercavitation.

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Ce mode d’action est connu depuis longtemps, et la squille a été étudiée en particulier par les Chinois et les Russes. Ces derniers ont ainsi, en s’inspirant de notre crevette, développé une torpille, la Chkval, pouvant se déplacer sous l’eau dans sa bulle d’air, à la vitesse de 370km/h (en gros, le double de la vitesse d’une torpille classique) – ci-dessous, l’extrémité d’une torpille Chkval.

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Les allemands auraient aussi développé une torpille baptisée « Superkavitierender Unterwasserlaufkörper » – et nos alliés américains sont en train de développer un programme analogue (avec très peu d’information disponible).

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Quant aux Chinois, ils ont annoncé avoir développé un concept de sous-marin supersonique, capable de voyager de Shanghai à San Francisco en 100 minutes (!), en utilisant la supercavitation et une «membrane liquide capable de réduire la trainée hydrodynamique ». Sans possibilité de vérification, on ne peut qu’être dubitatif. D’autant que la contrôlabilité d’un tel engin est problématique, ainsi que son mode de propulsion (combustible classique ? nucléaire ?).

Reste que notre super-crevette n’a pas dit son dernier mot dans le domaine de l’innovation. Ses couleurs chatoyantes s’expliquent ainsi par une hyper-sensibilité visuelle étonnante. Alors que l’œil humain ne dispose que de 3 types de cônes, la squille en possède…16 ! Elle reçoit la lumière d’une manière très différente de l’œil humain : on appelle cela la vision CPL pour Circular Polarized Light. De plus, les yeux du crustacé possèdent trois pseudo-pupilles qui lui permettent de trianguler la position de sa cible. Certains travaux visent donc à s’inspirer de ce mode de vision complètement différent de tout ce qui est connu, pour développer une nouvelle génération de caméras capables de distinguer et de cibler des différences infimes dans l’infrarouge ou l’ultraviolet.

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Et pour conclure, l’animal est aussi source d’inspiration pour le combattant augmenté. Des chercheurs de l’Université de Californie (Kisailus Biomimetics and Nanostructured Materials Lab) ont ainsi reçu un financement d’un demi-million de dollars par l’armée américaine (Air Force Office of Scientific Research), afin de s’inspirer de la carapace des marteaux de la squille pour trouver des nouveaux matériaux capables de jouer un rôle de protection balistique. Des essais reproduisant la structure de la carapace (modélisée par une technique utilisant les éléments finis) par impression 3D sont en cours – un prototype de casque a ainsi été développé.

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Le biomimétisme est donc un domaine d’avenir, en pleine expansion. Et ses applications dans le domaine de la défense sont nombreuses et encore largement sous-exploitées (notamment dans le domaine de la médecine militaire). Une filière biomimétique de défense en France pourrait ainsi avoir du sens, après tout, comme le disait Montaigne : « la Nature peut tout et fait tout ».