Articles Tagués ‘nanotechnologies’

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« Regarder au travers de tubes de papier-toilette en carton » : c’est comme cela que certains désignent l’inconfort d’utiliser des lunettes de vision nocturne (dont l’acronyme le plus répandu est NVG pour Night Vision Goggles). Malgré les récents progrès apportés notamment par les lunettes quadri-tubes panoramiques rendues célèbres par le raid contre Ben Laden, les NVG classiques sont souvent trop imposantes, trop lourdes et insuffisamment performantes.

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Cet encombrement est dû à la technologie elle-même. En effet, pour développer un dispositif de vision nocturne, il est nécessaire d’amplifier le peu de lumière disponible, et de le rendre visible à l’utilisateur. Pour ce faire, une lentille récupère tous les photons disponibles y compris dans le proche infrarouge et les convertit en électrons à l’aide d’une photocathode. Ces électrons sont ensuite envoyés dans un tube sous vide au travers de plaques microperforées et subissent une amplification ; en gros, un électron génère l’émission d’autres électrons par réaction en chaine (cascaded secondary emission, en anglais). On atteint des facteurs d’amplification importants, de l’ordre de 50 000 à 90 000x. A l’extrémité du tube, les vagues d’électrons amplifiés frappent un écran au phosphore qui réagit en émettant la lumière verte caractéristique de la vision nocturne, et permet donc de voir la lumière réfléchie dans l’obscurité.

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Il s’agit donc d’un dispositif assez complexe et surtout nécessitant un facteur de forme important, en termes de poids et d’encombrement, et ce d’autant plus qu’il nécessite un générateur électrique puissant.

Des chercheurs de l’Université ANU (Australian National University) se sont attaqués à ce problème et viennent de publier des résultats intéressants permettant d’envisager des appareils plus compacts et plus faciles d’emploi, en utilisant les nanotechnologies.

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L’idée est d’utiliser des nano-antennes, à base d’arséniure d’aluminium et de gallium, 500 fois plus fines qu’un cheveu et capables de réaliser l’amplification des photons sans tube à vide. Le processus repose sur le phénomène dit de génération d’harmoniques de deuxième ordre (SHG pour Second Harmonic Generation). Là encore, je ne fais pas un cours de physique – j’en serais d’ailleurs incapable – mais j’essaie de simplifier au maximum. Ces nanocristaux d’arséniure de gallium ont en effet des propriétés non linéaires : ils doublent la fréquence de la lumière qui les traverse. Pour faire simple, ces cristaux sont capables de convertir la lumière infrarouge en lumière visible. En gros, ils changent la forme, la couleur et la forme de la lumière.

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L’intérêt est de nécessiter très peu d’énergie, et surtout de n’avoir besoin que d’une couche de nano-cristaux qui aurait ainsi la propriété presque magique de convertir et d’amplifier la lumière. Une telle couche pourrait être apposée sous forme de film, permettant ainsi de concevoir des lunettes à vision nocturne guère plus épaisses qu’une paire de lunettes de soleil. On peut également imaginer un pare-brise de véhicule conférant au pilote la capacité à conduire dans l’obscurité.

Aujourd’hui, les chercheurs de l’ANU ont montré qu’en utilisant ces nanocristaux, ils étaient capables de convertir un laser infrarouge en lumière visible. Pour aller plus loin, il faudra démontrer la capacité à traiter différentes fréquences – ce qui pourra être réalisé en combinant différentes tailles de nanocristaux.

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Les inventeurs espèrent développer (avec l’aide de la DARPA) un prototype d’ici 3 ans – en parallèle, d’autres voies existent comme le développement de lentilles de contacts à vision thermique, à base de graphène (voir cet article). Il est donc plus que probable que le fantassin de 2025 pourra disposer de systèmes impressionnants, et performants (en termes de puissance mais aussi de légèreté) conçus grâce à la démocratisation des nanotechnologies.

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Je l’admets, pour un retour de vacances, le titre est quelque peu sibyllin… Explication : des chercheurs travaillant avec l’Office of Naval Research américain (un tout petit laboratoire puisqu’il a un budget de seulement – ! – 1,7 milliards de dollars) viennent d’annoncer avoir utilisé des bactéries génétiquement modifiées pour créer des filaments plusieurs milliers de fois plus fins d’un cheveu, et capables de conduire de l’électricité.

Ce faisant, il s’agit de trouver une voie alternative à l’utilisation de techniques chimiques de nanoélectronique. En l’occurrence, le chercheur Derek Lovley de l’Université du Massachussets (et détenteur d’un contrat avec l’ONR) a utilisé une protéobactérie appelée Geobacter Sulfurreducens, déjà connue pour pouvoir oxyder des matériaux comme le fer, les composés organiques, ou même certains métaux radioactifs.

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A l’état naturel, cette bactérie produit des « pili », soit des nanofilaments nanométriques, qui lui permettent de réaliser une connexion électrique entre elle et son substrat (ce sur quoi elle pousse), typiquement des oxydes ferreux. Ces filaments lui permettent de communiquer avec d’autres congénères, et de former un « biofilm » à la surface du substrat. D’où l’idée d’utiliser ces bactéries pour transporter une plus grande quantité d’électricité, à l’échelle nanométrique.

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Les chercheurs de l’ONR ont donc remplacé deux gènes dans le génome de la bactérie (afin qu’elle utilise un acide aminé appelé tryptophane, ayant des capacités supérieures de transport d’électrons à l’échelle nanométrique) avec un résultat impressionnant. Car le Geobacter ainsi « optimisé » est capable de produire des nanofilaments 2000 fois plus conducteurs que la bactérie originelle, mais également plus fins : 1,5 nm de diamètre (soit 1/60 000 du diamètre d’un cheveu) ! On parle donc de la capacité de générer des milliers de nano-câbles électriques extrêmement conducteurs, sur une surface très réduite.

Maintenant, pourquoi en parler dans ce blog ? Tout simplement parce que les applications sont très nombreuses, dans le civil (en particulier dans le médical, pour développer des nano-capteurs) comme dans le domaine militaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’ONR a financé cette recherche.

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L’application de ces nanofilaments à l’ingénierie de nano-capteurs ou nano-détecteurs est évidemment l’aspect le plus immédiat. On peut ainsi envisager le développement de nano-détecteurs, utilisant des microbes liés à un substrat de silicium, et alimentés en énergie par les nanofilaments, afin de pouvoir détecter des substances toxiques, chimiques ou explosives. Et la petite taille de ces détecteurs pourrait permettre d’en placer une grande variété sur des micro-drones.

Mais imaginez aussi des nanofilaments bactériens apportant une stimulation électrique à des microbes capables de générer, n’importe où, du carburant (en l’occurrence du butanol)… Ce n’est pas de la science-fiction, certaines bactéries, comme la bactérie Clostridium, E. Coli ou même la levure, ont la capacité de générer du n-butanol. Mais certaines peuvent le faire en utilisant l’électricité afin de convertir le dioxyde de carbone, produisant ainsi des dérivés. On appelle cela l’électrosynthèse microbienne. On peut ainsi imaginer des « batteries de bactéries » génétiquement optimisées, alimentées en électricité par les nanofilaments de Geobacter, et capables de produire du carburant sur le théâtre d’opérations, notamment dans des bases avancées, difficiles d’accès. Si, je vous assure, c’est sérieux.

Pour pouvoir réellement exploiter ces nanofilaments, un peu de recherche reste nécessaire, notamment afin de stabiliser leurs protéines. L’ONR continuera à financer ces travaux, dont les applications ouvrent une nouvelle ère, celle de la bioélectronique, une véritable rupture technologique et capacitaire.

 

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Connaissez-vous la société BATTELLE ? Personnellement, avant d’aller les rencontrer il y a quelques années à Washington, leur nom ne me disait rien. Il s’avère que Battelle, c’est « juste » la première organisation non-lucrative au monde dans le domaine de la R&D. Avec 22 000 et plus de 60 localisations, cette organisation américaine exerce ses activités dans de très nombreux domaines : santé, énergie, environnement, économie, mais aussi défense et sécurité nationale.

Pour l’avoir visitée, l’organisation cherche réellement à innover, tant dans les domaines et la méthodologie que par son approche organisationnelle. Il n’est donc pas étonnant de les trouver à l’origine d’approches non conformistes dans le domaine de la défense.

Aujourd’hui, Battelle annonce avoir développé HeatCoat, un revêtement à base de nanotubes de carbones, qui peut être pulvérisé à la surface d’un véhicule. Une fois appliqué, ce revêtement (semblable à de la peinture) est capable de générer de la chaleur lorsqu’on lui applique un courant électrique.

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Un système de contrôle/commande permet de n’appliquer que les tensions nécessaires à un instant donné pour maintenir des conditions de vol opérationnelles. Le revêtement a été testé en soufflerie et s’est révélé efficace par -30°C, et des vitesses d’air de l’ordre de 330km/h (ce qui explique pour l’instant la limitation d’emploi aux drones, plus lents et volant plus bas que des avions conventionnels).

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Battelle compte utiliser HeatCoat pour maintenir les drones à une température donnée, notamment dans le cadre d’opérations en environnement hivernal ou arctique.

Cette annonce intervient alors que la DARPA confirme son intérêt pour les technologies lui permettant d’opérer dans un environnement arctique (un territoire aujourd’hui source d’intenses convoitises). Vous trouverez la consultation de la DARPA ici et la brochure de heatcoat ici.

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M l’Ingénieur Général, cher Dominique, peux tu nous présenter, en quelques mots, la DIRISI ?

Créée le 31 décembre 2003 par décret, la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense (DIRISI), rattachée à l’Etat-Major des Armées, assure les fonctions d’opérateur de télécommunications, d’infogérant des systèmes d’information de la Défense, de gérant des fréquences, de garant de la sécurité des systèmes d’information, de mise en œuvre et de soutien des SIC opérationnels, et de centrale d’achat pour les services de télécommunications, les matériels et les logiciels informatiques, les prestations dans le domaine des systèmes d’information.

Elle est donc résolument au cœur des opérations et de la vie de la Défense : en métropole, outre-mer et à l’étranger, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, la DIRISI exploite, soutient et assure la sécurité des Sic nécessaires à l’engagement des forces armées, à la dissuasion, à la posture permanente de sûreté et à l’action de l’État.

Interventions extérieures, contrôle de l’espace aérien et maritime, mais aussi SI métiers RH ou financiers… : tous sont supportés par le système d’information du ministère de la défense, et c’est la DIRISI qui le conçoit, le développe, le met en œuvre et le protège.

Quelle est ta mission au sein de cet organisme aujourd’hui ?

En tant que directeur adjoint plans, je suis délégataire en premier lieu du pouvoir adjudicateur, en d’autres termes je dirige la fonction achats. A ce titre, je suis responsable de la stratégie globale concernant les marchés et contrats de la DIRISI, et en particulier, je suis responsable de la stratégie industrielle. Par ailleurs j’ assure la cohérence technique des projets, et je pilote la coordination avec la DGA (pour ce qui concerne notamment les opérations d’armement) et le contexte interministériel.

Tu es connu comme un expert de différents domaines de pointe, allant de la simulation aux nanotechnologies. Quels sont les défis technologiques et les ruptures attendues dans le domaine que tu diriges aujourd’hui ?

Dans le domaine professionnel où j’interviens aujourd’hui, les principaux défis technologiques concernent la mise en œuvre de Clouds privés et hybrides, ainsi que les services à créer autour du Big Data Analytics (le « broyage de données » pour adopter une expression moins anglo-saxonne).

Mais au-delà de ces défis technologiques, les défis sont la maîtrise de la complexité des systèmes d’information et la réduction des coûts globaux, ce qui passe par des défis techniques mais aussi et surtout organisationnels, ainsi que de nouvelles relations de partenariat avec les maîtres d’œuvre industriels.

Comment la France se place-t-elle, à ton sens, dans cette course à l’innovation ?

La France a une très bonne place dans l’innovation scientifique, mais souffre quelquefois du manque d’organisation publique pour faciliter le transfert de la recherche fondamentale ou appliquée à la pré-industrialisation de solutions voire à l’industrialisation. Il existe ponctuellement des sources de financement publiques pour permettre chacune de ces étapes, mais j’ai l’impression qu’il manque une véritable politique publique permettant la « coordination » entre d’un côté l’excellence scientifique dans de nombreux domaines (clairement reconnue) et de l’autre le développement d’acteurs industriels de pointe pouvant peser sur des marchés européens ou internationaux (cela passe donc par une vision transverse aux différents niveaux de maturité de la recherche fondamentale à l’industrialisation réussie pour une technologie ou tout au moins une thématique technique).

En conclusion, si je te demandais les trois projets de R&D que tu jugerais prioritaires à financer (indépendamment de la position de la DGA, on parle ici de ta conviction intime) dans le domaine de l’innovation technologique de défense au sens large (donc non limitée à la DIRISI)?

Il me semble impossible de répondre à cette question en ne considérant que trois projets : il faut élargir à la notion de thématique scientifique. A titre personnel les trois barrières que j’aimerais repousser le plus possible sont la mort, le temps et l’espace !

Pour répondre plus prosaïquement à la question cependant, je dirais que je me contenterais de faire avancer les recherches dans les domaines de : la maîtrise de la complexité des systèmes ; les sources d’énergie (d’une part en recherchant l’augmentation d’autonomie temporelle, d’autre part en exploitant l’environnement immédiat afin d’alléger au maximum les dépendances aux chaînes logistiques) ; la prise de décision pour rechercher les gains maximaux en automatisation.

Biographie

Ingénieur Général de l’Armement au sein de la Direction Générale pour l’Armement (DGA), Dominique Luzeaux y a exercé des fonctions d’expertise technique et de direction dans les domaines de la robotique, de l’optronique, des systèmes de renseignement et d’observation, de la simulation et de l’ingénierie système ; il a notamment été à l’origine de la démarche du LTO (laboratoire technico-opérationnel) à la DGA. Il a été directeur opérationnel des systèmes d’information de la DGA, et directeur du service en charge des programmes d’armement terrestre (UM TER) avant de rejoindre la DIRISI. Dominique Luzeaux est diplômé de l’École Polytechnique, de l’École Nationale Supérieure des Techniques Avancées,titulaire d’un doctorat de l’université de Paris XI et d’une habilitation à diriger les thèses. Il a reçu en 2006 le Prix Chanson pour ses travaux sur la robotique militaire terrestre. Par ailleurs, il enseigne la robotique, l’informatique théorique et l’ingénierie système dans plusieurs universités et écoles d’ingénieurs. Il est l’auteur de nombreux livres dont:

  • À la conquête du nanomonde : nanotechnologies et microsystèmes, (coauthor T. Puig), March 2007, Éditions du Félin;
  • Systèmes de systèmes : concepts et illustrations pratiques, (coauthor J.-R. Ruault), June 2008, Editions Lavoisier Hermes Science;
  • Ingénierie des systèmes de systèmes : méthodes et outils, (coauthor J.-R. Ruault), June 2008, Editions Lavoisier Hermes Science;
  • Systems of systems: concepts, illustrations, standards and methods, (coauthor J.-R. Ruault), February 2010, Wiley;
  • Simulation et modélisation des systèmes de systèmes : vers la maîtrise de la complexité, (coauthor P. Cantot), November 2009, Editions Lavoisier Hermes Science;
  • Simulation and modeling of systems of system, (coauthor P. Cantot), May 2011, Wiley;
  • Maîtrise de l’ingénierie des systèmes complexes et des systèmes de systèmes, (coauthor J.-R. Ruault, J.-L. Wippler), May 2011, Editions Lavoisier Hermes Science;
  • Complex systems and system-of-systems engineering, (coauthor J.-R. Ruault, J.-L. Wippler), November 2011, Wiley;
  • 100 questions pour comprendre et agir : l’ingénierie des systèmes, (coauthor J.-R. Ruault), April 2013, Editions AFNOR.

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Dans la série des lundis de l’IHEDN, une conférence sur le nanomonde par l’Ingénieur Général Dominique Luzeaux. Pour s’inscrire, c’est ici, et c’est gratuit. Dominique Luzeaux est l’un des meilleurs spécialistes français du domaine.

Je recommande par ailleurs son ouvrage « à la conquête du nanomonde: nanotechnologies et les microsystèmes » dont voici le descriptif :

« Les nanotechnologies et les microsystèmes seront-ils la rupture technologique majeure des années à venir ? Cette révolution de l’infiniment petit passionne les scientifiques, mobilise les industriels et les responsables politiques… et engendre à la fois crainte et engouement de la part du grand public ! Les microsystèmes (à l’échelle du millionième de mètre) et les nanotechnologies (à l’échelle du 1/30 000e d’épaisseur de cheveu !) offrent de nouveaux horizons dans de nombreux domaines. Déjà, les nanotechnologies sont appliquées à des produits de grande distribution : cosmétiques, textiles  » intelligents « , etc. Elles devraient permettre des économies d’énergie et des avancées extraordinaires dans les domaines de la santé (traitement de cancers, etc.) et des technologies de l’information. Les perspectives d’applications suscitent des milliards de dollars d’investissements publics aux Etats-Unis, au Japon et en Europe. Le secteur privé, des multinationales aux PME, s’est emparé du domaine.
Mais cette course aux  » nano  » risque de creuser toujours plus le fossé technologique entre les pays riches et les autres, et pose de nombreuses questions médicales, sociales, éthiques et de propriété intellectuelle. L’impact sur l’environnement et la santé n’est pas établi. Les applications militaires, elles, risquent de relancer la course aux armements et leur prolifération. Cet ouvrage passionnera tous ceux qui veulent des réponses claires sur ces enjeux fondamentaux pour l’avenir de nos sociétés »