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Pour une fois, et cela fait plaisir, je fais un focus sur de l’innovation qui n’est pas originaire d’outre-Atlantique. Au passage, je rappelle que ce fort tropisme américain n’est en rien une volonté ou un parti-pris de ce blog, mais bien une conséquence des budgets impressionnants de R&D de défense dont disposent nos amis américains. Snif.

Lors d’une visite organisée avec le GICAT (Groupement des Industries de Défense et de Sécurité terrestres et aéroterrestres) et son équivalent allemand, le BDSV (Bundesverband der Deutschen Sicherheits- und Verteidigungsindustrie) – voir photo ci-après – j’ai pu constater de visu la grande qualité des réalisations technologiques de l’ISL.

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Rappelons que l’ISL (Institut Saint-Louis) est la plus ancienne coopération franco-allemande en matière de défense (elle hérite du LRSL créé en 1945, la création de l’ISL dans sa forme actuelle datant de 1959). L’ISL est une initiative conjointe de recherche franco-allemande, un schéma original et innovant, qui permet à cette institution de conduire des projets de recherche fondamentale, mais allant jusqu’à développer des innovations et de la recherche finalisée au profit des opérationnels.

Il fallait bien choisir un sujet parmi tous les projets de l’ISL. Donc, au menu pour cet article : les armes nouvelles, et en particulier les lasers et canons  électromagnétiques.

J’avais déjà mentionné à plusieurs reprises dans ce blog (voir par exemple cet article ) les armes à énergie dirigée, et en particulier les lasers. L’ISL travaille intensément dans le domaine, l’objectif des travaux réalisés par l’Institut étant de confirmer à la fois la faisabilité technique, et les bénéfices opérationnels escomptés pour ce nouveau type d’armes.

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En l’occurrence, la question posée est d’identifier une source pour une future arme laser. Or l’exercice est loin d’être simple. En premier lieu, la puissance doit être au minimum de 100kW moyens, pendant quelques secondes. Il est en effet irréaliste de devoir maintenir trop longtemps un faisceau sur une cible, faute de puissance.

Mais la difficulté ne s’arrête pas là : les chercheurs ont en effet un autre objectif, dont on parle peu : la sécurité oculaire. Car une arme laser, c’est potentiellement quelque chose qui peut à la fois blesser son utilisateur, et occasionner des dommages collatéraux importants. Le laser ne s’arrête pas au bout de quelques mètres : il peut parcourir des centaines de kilomètres et mettre en danger la population. Sans compter que les conventions internationales sont strictes : toute arme potentiellement aveuglante doit respecter le protocole de la Convention de Vienne (1980).

L’ISL a donc entrepris des travaux de recherche en 2006 pour trouver une source laser opérationnellement acceptable pour cette future arme laser. Ces travaux ont mené au développement d’un premier démonstrateur baptisé MELIAS II, en 2010, respectant ces contraintes. Il s’agit d’un laser de 5kW, dont j’ai pu assister à un tir impressionnant. Impressionnant car la plaque de bois a été perforée immédiatement (10 ms), et impressionnant car nous n’avions pas besoin de porter de lunettes : ce laser émet en effet à des longueurs d’ondes non dangereuses pour l’œil humain (supérieures à 1,4 micromètres). C’est ce que l’on appelle le domaine spectral à sécurité oculaire (en l’occurrence, l’acronyme MELIAS signifie Medium Energy Laser In the eye-sAfe Spectral domain).

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Depuis MELIAS II, l’ISL a développé MELIAS II+, actuellement en fin de montage. C’est un laser Er3+ YAG (Erbium-doped yttrium aluminium garnet laser) à capacité thermique, compact, simple d’emploi et à sécurité oculaire dont la puissance est aujourd’hui de l’ordre de 30kW, extensible à 100 kW. L’ISL a d’ailleurs développé une technologie de barillet permettant d’effectuer de nombreux tirs sans refroidissement.

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Il s’agit encore d’installations de laboratoire, mais les premiers tirs sont prévus à la fin de l’année 2017.  L’objectif : utiliser ce type de laser pour neutraliser des drones, ou des menaces de type RAM (Roquettes/Artillerie/Mortiers).

Parlons maintenant d’un autre type d’armes : les « railguns » ou canons électriques ou électromagnétiques. L’objectif est de propulser un projectile à environ 3000 m/s de vitesse initiale sans utiliser de poudre propulsive, en établissant une différence de potentiel électrique entre deux rails parallèles conducteurs. Lorsque le courant électrique circule entre les deux rails, un champ magnétique se crée, permettant d’accélérer le projectile. Nous en avions déjà parlé, en particulier dans cet article.

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Une telle arme possède des avantages indéniables : pas de nécessité de stockage de matériaux dangereux (c’est l’impact du projectile, donc uniquement l’effet cinétique, qui provoque la destruction, même si des projectiles explosifs peuvent être employés, et la propulsion ne nécessite pas de poudre), un tir très peu onéreux, une cadence élevée, de l’ordre de 50 tirs par seconde, et une portée très importante – le railgun de l’ONR américain vise ainsi à atteindre une portée de 300 à 400 km.

Dans ce domaine, la France (et l’Allemagne) n’est pas à la traîne. L’ISL a ainsi réalisé un démonstrateur, le NGL60 (car doté d’un calibre 60x60mm) : un tube mesurant aujourd’hui 2m (extension prévue à 6m) et muni de nombreux condensateurs (voir la photo ci-dessous). Si les canons américains, bien plus onéreux, ont une énergie de bouche aux alentours de 30 MJ (petit rappel : une mégajoule d’énergie est équivalente à l’énergie d’une voiture d’une tonne, voyageant à 160km/h), le NGL60 est déjà à 10MJ soit l’énergie typique du canon d’un char lourd. La technologie développée par l’ISL permet un fort taux de conversion d’énergie électrique en énergie cinétique (> 35%).

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Mais l’ISL a également développé un démonstrateur de canon électrique haute cadence. Baptisé RAFIRA (pour RApid Fire RAilgun), il permet de tirer des salves de cinq tirs consécutifs à une fréquence de 75Hz, sans nécessité de « gatling », c’est-à-dire sans devoir échanger le tube. L’intérêt d’une telle cadence est de pouvoir envisager un emploi antimissile (qui nécessite de dépasser le 50 Hz), chaque projectile subissant une accélération de plus de 100 000g ( !) et étant propulsé à plus de 2400 m/s.

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Au-delà, avec RAFIRA, l’ISL a développé un concept de salve « intelligente », permettant de gérer individuellement l’accélération de chaque projectile, pour anticiper une trajectoire ou au contraire faire arriver simultanément tous les projectiles sur une cible.

Bon, j’aurais aussi pu parler des « générateurs XRAM inductifs compacts, comprenant la source primaire d’énergie à accumulateurs lithium-ion et des commutateurs répétitifs haute tension à diélectrique liquide et à formation d’impulsions, permettant ainsi des largeurs d’impulsion inférieures à la nanoseconde et un champ de claquage record de 14 MV/cm. ». Mais comme je n’ai pas (tout) compris, je préfère laisser cela à la sagacité du lecteur averti (pour le coup, le texte vient du site de l’ISL).

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Pas besoin de cela pour convaincre des capacités de l’ISL. Même si c’est un peu loin – bon, très loin – lorsque l’on est comme moi parisien, il s’agit d’un lieu unique rassemblant dans un contexte de coopération multinationale des talents incontestables. Et des chercheurs passionnés.