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On ne le dira jamais assez, surtout lorsque l’on travaille dans le monde de la défense et de la sécurité, une clé USB, c’est une arme qui peut se retourner contre vous. L’utilisation la plus classique, c’est l’injection d’un virus ou d’un cheval de Troie par une clé (typiquement une clé publicitaire), ou l’aspiration de la totalité du contenu d’un PC en quelques secondes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne faut jamais récupérer des clés USB promotionnelles sur un salon professionnel, en particulier un salon de défense (si vous saviez le nombre de commerciaux de grands groupes de défense que j’ai vu faire le contraire…). N’oubliez pas que le contenu de la clé peut être intégralement et silencieusement copié sur l’ordinateur sans que vous ne vous en rendiez compte.

Il suffit ensuite d’exécuter automatiquement un code malicieux, capable de siphonner le contenu du PC, de récupérer la frappe du clavier, etc… Je vous conseille d’ailleurs les documents mis en ligne par l’ANSSI, et en particulier ce petit guide des bonnes pratiques…

En 2014, deux chercheurs, Karsten Nohl and Jakob Lell ont montré que l’on pouvait aller plus loin, en insérant un malware appelé BadUSB directement dans le code de fonctionnement des clés USB permettant l’échange de fichiers entre la clé USB et un ordinateur. Comme ils l’ont expliqué à la Black Hat conférence : «Vous pouvez la donner à des spécialistes de la sécurité informatique; ils la scanneront, supprimeront quelques fichiers, et vous la rendront en vous disant qu’elle est « propre ».»

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Mais ici, le concept va carrément plus loin puisqu’il s’agit carrément de tout détruire. Voici l’USB Killer (oui, c’est son nom). Au départ, il s’agissait d’un petit bricolage à faire soi-même ; aujourd’hui, c’est un produit vendu en ligne, pour un peu moins de 50 Euros. Et son concept est simple : détruire tout engin électronique possédant un port USB dans lequel il est inséré. Et détruire physiquement et définitivement !

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Le principe est assez simple : dès que la clé est insérée, un convertisseur DC-DC commence à récupérer du courant depuis l’hôte, et stocke l’électricité dans une série de condensateurs placés à l’intérieur de la clé. Lorsque la différence de potentiel atteint -220V, le système se décharge d’un coup dans le port USB… et grille donc la carte. Sachant que la bestiole est vicieuse : si l’engin fonctionne encore, le cycle recommence jusqu’à la mort. Regardez donc la vidéo suivante et frissonnez…

Sachez que pour 13,95 EUR supplémentaires, vous pouvez également tester votre USB killer, tout en protégeant votre machine (on croit rêver). En gros, le business model est aussi de vendre l’antidote alors que l’on a soi-même diffusé le poison. Un classique.

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Ne pensez pas que je fasse de la publicité pour un dispositif confidentiel : pour trouver le site qui vend l’USB Killer sur Internet, cela ne prend que quelques secondes, dans le noir et les yeux bandés. En gros, c’est le premier résultat que les moteurs de recherche donnent. Bon, le truc est fabriqué à Hong Kong, mais les concepteurs assurent qu’il est compatible avec les normes CE ( !).

Deux parades possibles, outre ne jamais laisser vos appareils sans surveillance ou de bloquer physiquement les ports USB: l’utilisation d’un opto-isolateur sur la carte (pas évident), ou l’utilisation d’un système d’authentification USB Type C, permettant à l’hôte de confirmer l’authenticité d’un appareil USB avant que ce ne soit trop tard.

Mais si le risque est réel de vous faire griller votre PC portable, MacBook (voir vidéo ci-dessous) ou téléphone, un autre risque, bien plus important celui-là, doit être mesuré et surtout anticipé.

Car des ports USB, on en trouve aussi sur des voitures de dernière génération, dans les avions,  et sur une grande variété de systèmes de contrôle industriel de type SCADA, comme ceux utilisés par exemple dans le nucléaire. Encore une fois, je ne trahis aucun secret, il s’agit simplement d’identifier les risques réels ; selon le fabricant de l’USB Killer, 95% des appareils compatibles USB dans le monde seraient vulnérables à un tel dispositif. Il est d’ailleurs saisissant de voir que parmi les clients de la société USB Kill on trouve Nokia, Cisco ou encore Panasonic ! Ce doit être uniquement parce que la société présente son engin comme un dispositif de test. Oui, sûrement…

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Dans ce blog, nous parlons régulièrement des objets connectés et de leurs vulnérabilités (voir cet article sur la voiture connectée, ou celui-ci sur des armes « hackées »), et de fabrication additive (voir cet article sur la fabrication d’une arme par impression 3D). Voici que ces deux domaines se rejoignent : une équipe de chercheurs de l’Université Ben Gourion du Negev, de l’université SUTD de Singapour et de l’University of South Alabama vient de montrer que le piratage des outils de fabrication additive pouvait avoir des conséquences très concrètes, dans le monde réel.

Leur travail est intitulé « dr0wned – Cyber-Physical Attack with Additive Manufacturing » et consiste à effectuer une attaque Cyber Physique sur un matériel de fabrication additive. On rappelle que l’on désigne par le terme « Cyber Physique » un système où des éléments informatiques collaborent pour le contrôle/commande d’entités physiques.

Le principe est de voir comment, en s’intégrant à un processus de conception et de fabrication additive, un pirate peut introduire un défaut critique au cœur du processus. En l’occurrence, il s’agit de s’attaquer à l’ordinateur de contrôle de l’imprimante 3D. L’idée est de s’intégrer au processus (« workflow ») présenté ci-dessous.

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Ce workflow montre, avec un certain niveau d’abstraction, les étapes et multiples acteurs qui collaborent au sein d’un processus de fabrication additive. Il s’agit dans un premier temps de s’insérer dans les fichiers de conception d’un composant critique (ici l’hélice servant à la propulsion d’un drone), en utilisant des techniques classiques de « phishing » (envoi d’un mail anodin avec une pièce jointe infectée). Cette pièce jointe permet de créer une voie d’accès vers les fichiers de CAO contenus dans l’ordinateur infecté (un peu d’ingénierie sociale permet de cibler le bon utilisateur au préalable).

En utilisant des logiciels classiques de CAO, le pirate peut alors introduire des défauts en prenant soin que ces derniers soient invisibles à l’œil nu – en l’occurrence, les chercheurs ont introduit des zones creuses, donc fragiles, au sein de la structure de l’hélice qui doit être « imprimée » (près de l’axe). Le fichier est alors remplacé dans l’ordinateur de la victime, qui servira de configuration pour l’impression 3D. Et le défaut est bel et bien invisible: dans l’image ci-dessous, l’hélice en haut est normale, alors que l’hélice du bas est sabotée.

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Le résultat ? L’hélice est imprimée avec son défaut caché, qui, après quelques minutes de vol, provoque la chute et la destruction du drone.

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Rien de révolutionnaire ici, si ce n’est la nature même de l’attaque. La fabrication additive (comme d’ailleurs l’Internet des Objets ou la robotique) permet de « donner des bras et des jambes » à Internet. Autrement dit, toute modification dans le cyber-monde a des effets très réels et très concrets sur le vrai monde. A ce sujet, je ne saurais trop vous conseiller de visualiser cet excellent film, ci-après, qui présente les dangers et vulnérabilités du monde merveilleux des objets connectés.

Comme le virus Stuxnet responsable de la destruction des centrifugeuses supposées servir au programme nucléaire militaire iranien l’a montré, un simple programme informatique peut donc provoquer une destruction physique. Il est donc nécessaire de s’intéresser à ce problème (en prenant en considération la généralisation des systèmes industriels de type SCADA : Supervisory Control And Data Acquisition, frameworks industriels d’instrumentation), et en particulier en anticipant les problèmes liés à la fabrication additive. Car aujourd’hui, on peut tout imaginer : après tout, on imprime d’ores et déjà des missiles à 80% en utilisant des techniques de fabrication additive (voir cet article). L’intérêt de ce travail est de montrer la maîtrise complète du processus, d’une attaque de phishing au sabotage des fichiers, provoquant la modification et la destruction physique du système rendu vulnérable.

L’article original est disponible ici.

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Tout le monde le sait : le meilleur moyen de protéger un ordinateur hébergeant des données sensibles, est de le déconnecter physiquement de tout réseau. C’est ce que l’on appelle « l’air-gap » : l’ordinateur ne possède aucune connexion d’aucune sorte, et est ainsi protégé de toute intrusion… en théorie. C’est évidemment indispensable dès lors que des réseaux d’ordinateurs spécifiques protégés doivent être mis en place : communications militaires, monde bancaire, mais aussi (et cela fera l’objet un article prochain) les réseaux de contrôle ou d’automates industriels critiques (SCADA), qui sont aujourd’hui une vulnérabilité majeure de nos infrastructures (ce sera pour une autre fois).

Car évidemment, dès lors que l’on développe un système de protection, les adversaires cherchent à le contourner. Pour pirater un ordinateur « air-gapped », plusieurs techniques ont déjà été examinées. La plus connue et la plus immédiate est l’interception des ondes électromagnétiques (nous parlerons un jour du système Cottonmouth-I de la NSA), mais il existe d’autres techniques plus exotiques comme l’utilisation et le détournement des patterns dans la chaleur émise par le PC.

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On peut ainsi mentionner un système appelé BitWhisper et développé par des chercheurs de l’université Ben Gurion de Jérusalem, qui utilise l’émission de chaleur de l’ordinateur ciblé ainsi que les senseurs thermiques internes pour intercepter (et communiquer) des informations critiques comme des mots de passe ou clés de sécurité. Les chercheurs ont ainsi montré qu’ils pouvaient intercepter des commandes d’une machine air-gapped – voir la vidéo ci-dessous. En l’occurrence, ils arrivent à faire passer une information entre deux machines non physiquement connectées par le détournement des informations thermiques, arrivant ainsi à contrôler un jouet lance-missile.

Cette technique utilise les fluctuations de température de la carte-mère, et détourne le déclenchement par senseurs internes des ventilateurs permettant le refroidissement. Il s’agit d’un malware (qu’il faut donc implanter sur la cible, ce qui constitue une limite de l’exercice, je le concède), qui utilise, un peu comme un code morse, le déclenchement des senseurs de température interne pour transmettre de l’information à l’ordinateur espion. En pilotant le senseur pour permettre une augmentation de 1°C sur une certaine période, l’ordinateur receveur comprend « 1 ». En permettant la restauration de la température à son niveau initial sur la même période, le receveur comprend « 0 ». C’est long, c’est fastidieux mais c’est suffisant pour récupérer ou transmettre de l’information.

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Ce logiciel va même jusqu’à prendre en compte les fluctuations normales de température afin de s’y « fondre » pour qu’un observateur externe ne puisse pas comprendre qu’une attaque a lieu. Un ordinateur infecté par bitWhisper envoie également un « ping » thermique par ses senseurs, de manière à écouter ses voisins et engager une communication avec un autre ordinateur infecté, et ce dans les deux sens (écoute des données, envoi de commandes). L’article est disponible ici.

Ce sont ces mêmes chercheurs de Ben Gurion qui viennent de mettre au point une nouvelle technique fondée sur l’écoute des ventilateurs de refroidissement du PC. Elle repose sur l’analyse des émissions sonores et de leurs variations ; car si un PC protégé ne possède généralement pas d’enceintes (et que son haut-parleur interne doit être désactivé), il comprend plusieurs ventilateurs : sur la carte mère, le châssis, l’alimentation, … Tous ces ventilateurs génèrent une fréquence sonore (liée à la fréquence de passage des pales), qui augmente avec la vitesse de rotation du ventilateur.

L’idée a alors consisté à développer un nouveau malware, qui va générer du code binaire à partir de la fréquence du ventilateur : 0 pour 1000 rpm, 1 pour 1600 rpm. Un receveur placé à proximité, comme un smartphone, en l’occurrence un Samsung Galaxy S4  avec une fréquence d’échantillonnage de 44.1Hz (voir le dispositif expérimental ci-dessous) va écouter ce code pour transmettre les données piratées. Le malware s’appelle Fansmitter ; il permet de transmettre jusqu’à une distance de 8m l’information à un système de réception à un taux de 900bits/h.

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Il permet même d’utiliser des différences de fréquences sonores de 100Hz pour générer la différence entre le 0 et le 1, afin d’éviter qu’un observateur dans la pièce puisse se rendre compte de l’attaque (alors que le receveur est capable de le faire, même si la pièce est bruitée – en l’occurrence, dans le test effectué par l’équipe de recherche menée par Mordechai Guri, la pièce comportait plusieurs serveurs, un niveau de bruit ambiant habituel et un système de climatisation actif). L’article original peut être téléchargé ici.

Tout ceci permet de montrer qu’un ordinateur air-gapped n’est intrinsèquement pas à l’abri. En tout cas, tout malware pourra exploiter les failles qui sont de toute façon inhérentes au fonctionnement d’un ordinateur. Le seul bémol à ce constat est la nécessité d’introduire un malware dans l’ordinateur ciblé, ce qui est une véritable barrière d’entrée. Une fois celle-ci passée, c’est hélas trop tard.