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J’ai des marottes, et le biomimétisme en est une. Petit rappel : le biomimétisme, c’est notamment le fait de s’inspirer de la nature afin de concevoir des solutions innovantes, adaptées et efficaces en ingénierie. J’avais par exemple écrit cet article sur la squille, une super-crevette capable de générer de la super-cavitation, et dotée d’une hyper-sensibilité visuelle impressionnante la rendant capable de distinguer et de cibler des différences infimes dans l’infrarouge ou l’ultraviolet.

Après les essaims bioinspirés, les robots raies-manta, les supercrevettes ou la gourde inspirée du scarabée de Namibie, voici donc le camouflage inspiré des céphalopodes. J’avais également écrit sur le sujet il y a quelques temps (voir cet article ) – l’université de Cornell avait en effet développé une « peau électronique » capable de changer de couleur et de sentir les variations de pression, à base d’un « sandwich » de gel de silicone, emprisonnant deux électrodes extensibles et transparentes, et une couche de phosphore électroluminescent capable d’émettre une lumière colorée. Le but ? Développer une peau de camouflage pour un robot; mais la technologie était néanmoins quelque peu balbutiante.

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Une nouvelle recherche publiée dans la revue Advanced Optical Materials et intitulée « Natural Light-Scattering Nanoparticles Enable Visible through Short-Wave Infrared Color Modulation. » (ouf) relance le sujet. Il s’agit de travaux réalisés par l’université de Northearstern, en collaboration avec le Natick Soldier Research, Development and Engineering Center.

La recherche porte sur les chromatophores, ces organes spécialisés neuromusculaires présents chez les seiches ou les poulpes, et contenant des pigments dont ils gèrent la répartition. Cela confère aux bestioles des capacités incroyables de camouflage dynamique – voir la vidéo ci-dessous.

Ce n’est d’ailleurs pas l’apanage unique des céphalopodes – on trouve des chromatophores chez certains amphibiens, reptiles, crustacés, ou même poissons. Ces chromatophores sont tapissés sur une couche d’autres cellules : des iridophores qui jouent le rôle de miroirs en reflétant la lumière visible et en contrôlant sa couleur.

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Dans ces nouveaux travaux, le Pr Leila Deravi et son équipe ont analysé les particules de pigments extraites des céphalopodes (il s’agit de particules extrêmement petites, d’un diamètre moyen de 500nm). Ces particules forment des films à la surface de la peau (avec une épaisseur d’environ un micromètre, soit deux particules)  capables de diffuser la lumière, non seulement dans le spectre visible mais également dans le proche infrarouge. Les chercheurs ont réussi à répliquer ces nanofilms, afin d’incorporer de telles particules dans des textiles, et en particulier dans des treillis ou combinaisons de camouflage.

Leila Deravi

Cette capacité de diffusion augmente lorsque l’on réplique les iridophores, c’est-à-dire lorsque le film est placé sur une couche qui joue le rôle de miroir. Le résultat (et donc l’intérêt pour la défense) est double : (a) permettre de contrôler la couleur et la diffusion de la lumière afin de répliquer des couleurs et intensités proches de l’environnement du combattant – ce que l’on appelle un textile fonctionnalisé et (b) permettre la constitution de véritables « nano-panneaux solaires » capables d’absorber de manière optimale la lumière pour permettre le stockage d’énergie.

Leila Deravi

Les chercheurs ont ainsi pu fabriquer des fibres de tels films inspirés des chromatophores. Une recherche de pointe, sur le point d’aboutir au développement de textiles comparable à la peau des céphalopodes, et une avancée significative en comparaison de tous les travaux précédents sur le sujet.

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Il est évident que dans les applications militaires de la robotique de théâtre, la discrétion du robot joue un rôle essentiel. Au-delà du bruit (rédhibitoire aujourd’hui pour certains prototypes comme je le mentionnais dans cet article), il y a également l’apparence visuelle. Des chercheurs de l’université de Cornell aux Etats-Unis et de l’Institut italien de Pontedera viennent de publier une innovation dans le journal Science, réalisée grâce, en partie, à un financement conjoint de l’US Air Force et de l’US Army. Il s’agit d’une « peau extensible électroluminescente » inspirée par la peau des céphalopodes.

En effet, on connait depuis longtemps les capacités impressionnantes du poulpe ou de la seiche en termes de mimétisme : les céphalopodes ont la faculté de changer leur coloration afin d’imiter le terrain pour échapper à leurs prédateurs (ce que l’on appelle l’homochromie). Cette habileté à changer efficacement de couleur de tégument repose sur deux capacités : la capacité visuelle à analyser très rapidement leur environnement (donc à percevoir de très faibles variations d’intensité lumineuse et de nuances), et la présence de chromatophores, organes spécialisés neuromusculaires, contenant des pigments dont ils gèrent la répartition. Le résultat est plus qu’impressionnant (voir ci-dessous) :

Les chercheurs se sont donc inspirés de cette capacité pour développer une « peau électronique » capable de changer de couleur et de sentir les variations de pression. Pour ce faire, ils ont conçu un système de sandwich : gel en silicone à l’extérieur, emprisonnant deux électrodes extensibles et transparentes, et une couche de phosphore électroluminescent capable d’émettre une lumière colorée. La couleur dépend des additifs ajoutés au phosphore : du cuivre pour une lumière bleue, du magnésium pour le jaune, par exemple.

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En variant le nombre, la direction, la couleur et la superposition de ces « chromatophores artificiels », il devient possible d’émettre une lumière composée, et des motifs permettant de s’adapter à l’environnement. Comme la peau est extensible et déformable, le procédé semble effectivement prometteur.

L’idée est de développer des « robots souples » capables de changer d’apparence en cohérence avec leur environnement. D’autres chercheurs s’y étaient employés avec des succès plus… discutables (et notamment pour une fois, la DARPA et son concept de « peau liquide » développée avec Harvard University dans laquelle des colorants sont injectés pour en modifier la couleur. Bof.

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La vidéo ci-dessous montre le process. Amusant, mais on en voit tout de suite les limites.

Outre le camouflage, on peut imaginer qu’un revêtement comme celui développé par Cornell, appliqué sur un robot militaire puisse permettre d’afficher, le cas échéant, des marqueurs permettant de l’identifier, voire de forcer la visualisation de son statut. Un robot de garde deviendrait d’un rouge agressif après détection d’un intrus, ce qui aurait un rôle potentiellement dissuasif. Il pourrait également changer de couleur lorsqu’il est touché, la peau étant capable de détecter la pression. Un bon exemple de biomimétisme, avec évidemment tous les fantasmes qui vont avec…