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Non, je n’ai rien consommé de différent, ni fumé, ni bu (ou alors peu). Acceptons-le : quand les militaires financent de la recherche sur les matériaux, l’objectif peut souvent être assez décoiffant (on se souvient par exemple de la peau anti-radar, ou des systèmes de camouflage par revêtement électronique).  En l’occurrence, l’US Air Force a du s’inspirer du film « Terminator 2 » pour imaginer ce projet de recherche de l’Université de Cornell, et le financer.

Il s’agit en effet de pouvoir développer un nouveau matériau hybride à base de métal, et capable de changer de forme. L’objectif est assumé : faire de la « soft robotics », donc concevoir des robots ou drones dont certaines parties peuvent changer de forme nativement, sans pièces articulées.  Par exemple un robot cormoran, cet oiseau capable de voler, et de plonger dans l’eau pour pratiquer la chasse sous-marine.

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L’idée est de développer des ailes déformables, capables d’endurer le choc de la percussion avec l’eau mais de se déformer ensuite pour permettre la progression sous-marine. Une ambition irréaliste si la science des matériaux ne venait pas à la rescousse.

En l’occurrence, les chercheurs de Cornell ont développé un matériau hybride de nouvelle génération, alliage de métal et de silicone, donc possédant à la fois la solidité du métal, et l’élasticité lui permettant de changer de forme. Ce matériau est obtenu en plongeant une mousse de silicone dans du métal fondu. Ce mélange est ensuite placé sous vide, ce qui permet d’expulser l’air des alvéoles de la mousse, et de le remplacer par le métal liquide.

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Le résultat ? Un matériau hybride et déformable – décrit dans l’article écrit dans la très sérieuse revue « Advanced Materials » par le Pr Rob Shepherd, et possédant les propriétés recherchées des deux matériaux qui le composent. Pour passer d’une forme à une autre, il suffit de le chauffer à 63 degrés. D’ailleurs, il est capable de chauffer spontanément lorsqu’il est endommagé, ce qui laisse envisager des capacités d’autoréparation, par mémoire de forme. Regardez la vidéo impressionnante ci-dessous.

Les pores de la mousse mesurent 2mm, mais cette taille peut être adaptée, pour varier les propriétés de solidité et d’élasticité du composant.

Au-delà de la vision quelque peu étonnante du drone cormoran, un tel matériau est biocompatible – en particulier il ne comporte pas de plomb – ce qui permet d’envisager des applications dans le domaine biomédical.

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Il est évident que dans les applications militaires de la robotique de théâtre, la discrétion du robot joue un rôle essentiel. Au-delà du bruit (rédhibitoire aujourd’hui pour certains prototypes comme je le mentionnais dans cet article), il y a également l’apparence visuelle. Des chercheurs de l’université de Cornell aux Etats-Unis et de l’Institut italien de Pontedera viennent de publier une innovation dans le journal Science, réalisée grâce, en partie, à un financement conjoint de l’US Air Force et de l’US Army. Il s’agit d’une « peau extensible électroluminescente » inspirée par la peau des céphalopodes.

En effet, on connait depuis longtemps les capacités impressionnantes du poulpe ou de la seiche en termes de mimétisme : les céphalopodes ont la faculté de changer leur coloration afin d’imiter le terrain pour échapper à leurs prédateurs (ce que l’on appelle l’homochromie). Cette habileté à changer efficacement de couleur de tégument repose sur deux capacités : la capacité visuelle à analyser très rapidement leur environnement (donc à percevoir de très faibles variations d’intensité lumineuse et de nuances), et la présence de chromatophores, organes spécialisés neuromusculaires, contenant des pigments dont ils gèrent la répartition. Le résultat est plus qu’impressionnant (voir ci-dessous) :

Les chercheurs se sont donc inspirés de cette capacité pour développer une « peau électronique » capable de changer de couleur et de sentir les variations de pression. Pour ce faire, ils ont conçu un système de sandwich : gel en silicone à l’extérieur, emprisonnant deux électrodes extensibles et transparentes, et une couche de phosphore électroluminescent capable d’émettre une lumière colorée. La couleur dépend des additifs ajoutés au phosphore : du cuivre pour une lumière bleue, du magnésium pour le jaune, par exemple.

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En variant le nombre, la direction, la couleur et la superposition de ces « chromatophores artificiels », il devient possible d’émettre une lumière composée, et des motifs permettant de s’adapter à l’environnement. Comme la peau est extensible et déformable, le procédé semble effectivement prometteur.

L’idée est de développer des « robots souples » capables de changer d’apparence en cohérence avec leur environnement. D’autres chercheurs s’y étaient employés avec des succès plus… discutables (et notamment pour une fois, la DARPA et son concept de « peau liquide » développée avec Harvard University dans laquelle des colorants sont injectés pour en modifier la couleur. Bof.

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La vidéo ci-dessous montre le process. Amusant, mais on en voit tout de suite les limites.

Outre le camouflage, on peut imaginer qu’un revêtement comme celui développé par Cornell, appliqué sur un robot militaire puisse permettre d’afficher, le cas échéant, des marqueurs permettant de l’identifier, voire de forcer la visualisation de son statut. Un robot de garde deviendrait d’un rouge agressif après détection d’un intrus, ce qui aurait un rôle potentiellement dissuasif. Il pourrait également changer de couleur lorsqu’il est touché, la peau étant capable de détecter la pression. Un bon exemple de biomimétisme, avec évidemment tous les fantasmes qui vont avec…