Articles Tagués ‘Décontamination’

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La plante s’appelle Arabidopsis Thaliana, et c’est un modèle classique en biologie moléculaire du développement. Des chercheurs de l’université de York, au Royaume-Uni, viennent de montrer qu’une mutation provoquée dans son génome lui procurait des capacités inédites : celles de décontaminer les sols souillés par des résidus d’explosifs, en l’occurrence du TNT.

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Le problème : lorsque le TNT explose, il n’est pas entièrement consumé, et laisse environ 2% de matière toxique (pour les humains et les animaux) dans le sol. La décontamination de terrains militaires (et en particulier de polygones d’essais) se trouve donc être un problème complexe, d’autant que les résidus peuvent également perturber l’ensemble de la chaine microbienne du sol.

L’idée est de procurer à des plantes la capacité d’extraire et de dégrader le TNT. Et ça marche : les mitochondries de certaines plantes (en gros, les organelles intracellulaires qui permettent de produire de l’énergie pour la cellule) sont capables de transformer le TNT du sol en source d’énergie pour la plante. Mais c’est un problème dans la mesure où, ce faisant, elles combinent ces molécules de TNT avec de l’oxygène … ce qui crée du TNT volatil.

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Mais c’est là que la mutation dans le génome de l’arabidopsis fait son entrée : en modifiant un gène codant pour une enzyme, la plante ne cherche plus à dégrader le TNT, mais le stocke dans les parois des cellules végétales. Et les chercheurs, en découvrant cette anomalie, ont, par croisement, créé une variété d’arabidopsis capable de stocker beaucoup de TNT sans que celui-ci ne devienne toxique pour la plante (ni pour les herbivores d’ailleurs, puisque les molécules sont complexifiées avec les parties ligneuses, qui ne sont pas digérées – bon, il faut évacuer les… résidus de digestion, en ce cas).

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Le résultat ? Une technique naturelle (pas une manipulation génétique, mais une sélection de variété) permettant de créer des plantes naturellement décontaminantes – potentiellement au-delà de la variété arabidopsis, puisque cette mutation existe dans d’autres variétés. Une technique inattendue pour traiter le problème de la décontamination des sites militaires, ou des anciens champs de bataille. En tout cas, une étude à suivre…

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Récemment, j’ai publié un article (visible ici) sur les tenues NRBC auto-décontaminantes développées par nos amis américains. L’un de mes gentils collègues a porté à mon attention qu’une société Française entreprenait une démarche analogue; c’est donc avec grand plaisir que je publie cette suite.

Il s’agit de la société Lyonnaise OUVRY, qui est spécialiste des tenues de protection NRBC, et qui possède une offre très complète à destination des forces armées (y compris forces spéciales), mais également des forces de l’ordre, et des utilisateurs industriels. La société tient d’ailleurs un blog sur le sujet, accessible ici.

Dans le cadre du programme CSOSG 2009 de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), Ouvry est engagée dans le projet SELDEC de R&D. Le projet vise à développer « des textiles fonctionnalisés avec des matériaux photocatalytiques, capables de s’auto-décontaminer sous illumination naturelle visible/solaire et artificielle, UV-A ». Pour ce faire, la technologie met en oeuvre (comme dans le cas américain) des « nanoparticules à base de dioxyde de titane (TiO2) modifié, directement activables sous illumination visible/solaire ».

Le textile reçoit en fait un dépôt de TiO2 en plusieurs couches (une couche de dioxyde de Titane, une couche de polyélectrolite, etc), tenant par interactions électrostatiques fortes.

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Le résultat est concluant, puisque le processus de destruction par photocatalyse est présenté dans le graphe ci-dessous (concentration de différents contaminants en fonction du temps d’exposition aux UV).

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En outre, le procédé est résistant au vieillissement, puisqu’après plusieurs lavages, traitements abrasifs ou expositions à la lumière solaire, les capacités photocatalytiques ne sont pas altérées. Cependant, des tests avec un agent virulent réel (ypérite) ont montré qu’une durée d’exposition plus longue était nécessaire afin de dégrader complètement le contaminant. Selon les chercheurs : » Les vêtements ont été testés pour leur confort lors d’essais au porté par des utilisateurs entrainés et familiers des équipements de protection individuelle NRBC, le SDIS 91. A la suite des ces essais, la tenue SELDEC est apparue significativement meilleure qu’une tenue imperméable et qu’une autre tenue filtrante »

La société poursuit désormais ses travaux dans le cadre du programme franco-allemand SAFECOAT, visant à généraliser l’approche et associant la société OUVRY, l’Institut Charles Sadron et le LMSPC (Laboratoire des Matériaux, Surfaces et Procédés pour la Catalyse).

Images (c) Ouvry

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Bientôt, les opérationnels pourront disposer de tenues NRBC (protection nucléaire-radiologique-biologique-chimique) capables de se débarrasser de manière autonome  des matières contaminantes. Les chimistes du Army’s Edgewood Chemical Biological Center (ECBC) américain, avec le Natick Soldier Systems Center développent en effet des technologies permettant d’introduire, dès leur fabrication, des substances chimiques au sein du tissu de l’uniforme. Ces substances seront capables de neutraliser une contamination.

Le projet en est encore au stade de la recherche appliquée; la photo ci-dessous montre un chercheur introduisant dans un spectromètre un échantillon de tissu traité contaminé avec un agent chimique, afin d’évaluer si les molécules dangereuses sont effectivement clivées par la substance active. Cette dernière est également capable de neutraliser les agents biologiques.

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Bien évidemment, il faut que les résidus résultant de la réaction ne soient pas en eux-mêmes dangereux.C’est la phase de recherche actuelle. En pratique, une telle invention possède des avantages incontestables, dès lors que les opérations se déroulent dans un terrain hostile (un feuillage, par exemple, peut être contaminé sans que cela ne soit visible), ou trop loin d’une chaîne de décontamination. Il ne s’agit donc pas de remplacer cette dernière, mais de procurer une protection élémentaire aux personnels qui, en pratique, peuvent avoir été contaminés sans le savoir.

Mais le programme ne s’arrête pas à la seule décontamination : pour qu’une telle tenue soit efficace, il faut qu’elle soit utilisable en pratique, et toute personne ayant une fois dans sa vie endossé une tenue NRBC  connaît l’extrême inconfort qu’elle procure (poids, chaleur). Dès lors, son utilisation dans un théâtre d’opération typique des conflits actuels (zone désertique, ou centrafrique) est, en pratique, une mesure de dernier recours. A titre d’illustration, une photo d’un personnel du 2e RD en tenue :  2e Régiment de Dragons, seul régiment de l’armée de Terre spécialisé contre les menaces NRBC.

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En travaillant sur l’intégration de produits décontaminants dans le tissu, les chercheurs travaillent également sur le poids et les caractéristiques de ce dernier : résistance à la chaleur, légèreté, évacuation de la sueur – on imagine bien la problématique technique. Le programme est baptisé Uniform Integrated Protective Ensemble, soit UIPE (!) Sa première version, UIPE1 (photo ci-dessous), a déjà été testée sur le terrain (mais non en véritables conditions opérationnelles). Elle incorpore les innovations en termes de ventilation de la tenue, de légèreté, de finesse du tissu. C’est la seconde version, UIPE2, qui devrait être dotée de la fonction d’auto-décontamination. Une future version (UIPE3) permettra d’optimiser le concept, et surtout la gamme de contaminants pouvant être traitée.

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De nombreuses questions demeurent, et aujourd’hui l’armée américaine est évidemment discrète sur les détails de la technique: quelle est l’étendue de la fonction de neutralisation des agents biologiques (bactéries? virus?)? En pratique, la tenue est elle réservée à la décontamination chimique et biologique, ou procure-t’elle également une protection nucléaire et radiologique (tout en conservant ses propriétés de légèreté et de ventilation)? Enfin, quel est le coût d’un tel procédé et est-il généralisable ? Néanmoins, le programme est innovant et mérite d’être suivi.

Images (c) Défense Nationale, US Army