Décidément, la Chine accélère son développement technologique à tel point que l’on n’est plus dans une logique de rattrapage mais bien dans une logique de dépassement, comme le rappelait l’excellent David Menga lors de la conférence annuelle « Mission CES » au MEDEF (voir sur Twitter #whatsnext) organisée avec Xavier Dalloz.
Tout le monde a entendu parler des récents progrès de la Chine, notamment dans le domaine du calcul (les 2 plus puissants superordinateurs au monde sont aujourd’hui chinois, le premier ayant une puissance de plus de 90 petaflops, soit 90 millions de milliards d’opérations en virgule flottante par seconde). Mais de nouvelles et impressionnantes réalisations avec des implications concrètes dans la défense viennent d’être dévoilées. Au premier rang d’entre elles, le déploiement de ce qui apparait comme le premier satellite de cryptographie quantique au monde.
Baptisé (suivant les traducteurs) Micius ou Mozi (un philosophe et scientifique chinois du Ve siècle avant JC), il s’agirait du premier « satellite QUESS » (Quantum Experiments at Space Scale). Traduction : c’est un satellite capable d’utiliser depuis l’espace un protocole de cryptographie quantique.
En soi, la technologie n’est pas nouvelle puisque son principe date des années 1960 La cryptographie quantique consiste en effet à utiliser les propriétés des photons à l’échelle quantique (intrication, superposition…) pour permettre un échange de clés de chiffrement de manière sécurisée. Pour ce faire, on utilise le principe de polarisation des photons. Cela consiste à être capable d’émettre une suite de photons (un par un, c’est pour cela que l’on parle de source de photons uniques) tous polarisés (donc oscillant dans une direction) de la même manière. Un modulateur électro-optique permet ensuite par l’application d’une tension choisie par l’émetteur de polariser le photon dans l’un des 4 états possibles. Je ne rentre pas ici dans le détail (on appelle cela le protocole BB84 pour Bennett & Brassard, 1984).
En gros, si le photon est polarisé parallèlement à l’angle d’orientation du filtre, le photon sera transmis sans changement (1), s’il est perpendiculaire, il sera absorbé et ne passera pas (0), et si la direction est intermédiaire, il passe ou non selon une probabilité liée au carré du cosinus de l’angle de polarisation du photon par rapport à celui du filtre (vous êtes toujours là ???). Et s’il est transmis, alors sa nouvelle polarisation correspondra à l’angle d’orientation du filtre.
Encore une fois, je simplifie, mais cela permet (1) de générer des clés véritablement aléatoires et (2) d’être certain que si l’on intercepte le photon pour mesurer sa polarisation, on la change obligatoirement. Donc il est impossible d’intercepter le message sans le modifier (auquel cas, la tentative d’interception sera connue par le principe d’intrication quantique : deux photons peuvent être liés, si l’un est modifié, l’autre le sera également – et si ce dernier est conservé dans une « clé privée », cela permettra à coup sûr de détecter la tentative de piratage). Vous trouverez sur Internet beaucoup de sites expliquant ce principe – j’arrête là pour ne pas perdre davantage de lecteurs. Et la société (disparue aujourd’hui) SmartQuantum avait, il y a quelques années, développé de tels boîtiers de cryptage quantique en France.
Mais ici, le défi est plus complexe car ces photons doivent être émis sur de grandes distances. Plusieurs expériences ont été réalisées tant par des équipes chinoises qu’Européennes ou américaines. Ainsi en mai 2012 une expérimentation de téléportation quantique a été réalisée avec succès sur une distance de 143 km dans les îles Canaries.
Le principe de Mozi est de tester ce procédé depuis l’espace. Ainsi, un signal Laser (source de photons) constituant une clé de cryptage quantique sera émis depuis le sol (station à Pékin), reçu et déchiffré par le satellite placé en orbite basse (500km), puis réémis vers un second site au sol distant du premier de plus de 2500km (Urumqi). Evidemment, cela nécessitera une précision redoutable afin de pouvoir réellement recevoir et déchiffrer le signal). Le satellite lui-même comporte tous les équipements nécessaires au codage, décodage, réception et émission du signal.
Le but est de valider que cette technologie peut être utilisée de manière opérationnelle pour transmettre des messages inviolables sur une grande distance. Ce n’est pas demain qu’une telle technologie sera déployée sous forme d’un réseau (on pense que cela sera possible d’ici une quinzaine d’année).
Toutefois, cette capacité constitue une véritable rupture stratégique, rendue possible par un financement colossal dans le cadre du nouveau plan quinquennal de recherche de la Chine. La France et l’Europe ne disposent pas de telles ressources, malgré une expertise reconnue dans les mathématiques, la physique et le spatial. Alors comment anticiper et répondre à de telles ruptures capacitaires ? La question est posée et elle est sérieuse.
[…] le principe d’intrication quantique des photons pour réaliser une transmission cryptée (voir cet article). Cette fois-ci, il ne s’agit plus de cryptographie, mais d’une technologie plus directement […]
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