Pour ceux qui – et j’en suis – sont des fervents fans du film de John Mac Tiernan « A la poursuite d’Octobre Rouge », tiré du livre de Tom Clancy et décrivant la défection d’un commandant de l’Octobre Rouge, sous-marin nucléaire russe de dernière génération muni d’un nouveau système de propulsion silencieux appelé « la chenille », voici une nouvelle intéressante et qui relance la course aux armements sous-marins.
En matière de propulsion sous-marine innovante, peu de pays comptent. Il y a bien évidemment les Etats-Unis et la Russie, la Grande Bretagne, la France, mais aussi, et c’est une nouveauté, la Chine qui annonce une technologie révolutionnaire susceptible de rendre les sous-marins de l’Empire du milieu virtuellement indétectables par les techniques conventionnelles.
Baptisé IEPS pour Integrated Electrical Propulsion System, et comme son nom l’indique, il s’agit d’un système de propulsion électrique silencieuse, fondée sur le principe de l’hydrojet. Pour être précis, il s’agit d’un « rim-driven pump-jet », que l’on pourrait traduire (je ne suis pas un expert) par « turbine à hydrojet sans axe ». En gros, les pales sont encapsulées dans un anneau, il n’y a pas d’axe, c’est l’anneau qui constitue le rotor du moteur électrique. Il est entouré d’un autre anneau, qui constitue le stator, le complexe rotor/stator étant étanche et scellé.
Les avantages : une maintenance facilitée car le propulseur comporte moins de composants mouvants, une conception compacte, mais surtout une réduction drastique de la cavitation et des vibrations, donc de l’empreinte sonore. Le Graal de la propulsion sous-marine militaire, donc. Nota: comme on me l’a justement reproché, j’ai trop simplifié dans la version initiale de l’article: la cavitation hydrodynamique est donc la formation de bulles de vapeur dans l’eau par l’action mécanique de l’hélice (théorème de Bernoulli), soit la vaporisation de l’eau par la baisse de pression générée par le mouvement (en gros, la pression du liquide est abaissée au-dessous de sa pression de vapeur saturante, ce qui amène le liquide à ébullition). Les bulles étant transitoires, puisque leur apparition élimine les conditions qui leur ont donné naissance, cela amène à l’implosion des bulles de vapeur, ce qui crée une onde de choc notamment sonore, aisément repérable au sonar.
Ce n’est pas en soi un nouveau concept : les premiers propulseurs de ce type ont été mis sur le marché en 2010 notamment par des sociétés allemandes ou néerlandaises, comme « pods » auxiliaires de propulsion. Dans le cas chinois, le système IEPS est à la fois un système de propulsion, et un système de génération d’énergie électrique. Selon l’Etat-Major de la Marine Chinoise (PLAN), l’objectif d’IEPS était également de pouvoir emporter à bord le système d’armes « high-energy radio-frequency » (HERF), une arme à énergie dirigée qui nécessite une puissance électrique importante pour fonctionner.
Ce qui différencie la solution chinoise des systèmes préexistants, en tout cas d’après leurs (rares) annonces, c’est la performance – ce type de systèmes étant jusqu’alors peu efficaces, et limités à une propulsion auxiliaire. Visiblement, la Chine semble avoir injecté des financements suffisants (un sujet sensible chez nous en ce moment, comme quoi la recherche…) pour disposer d’un système véritablement efficace, en maîtrisant la complexité de sa conception.
Les ingénieurs américains travaillent sur de tels systèmes depuis environ 20 ans mais s’orientent sur des principes différents, comme les moteurs de type « permanent magnet » (moteur à aimant permanent) développés par General Dynamics, ou à superconducteurs (high-temperature superconducting (HTS) synchronous motors) développés par General Atomics et American Superconductors. Le destroyer de classe Zumwalt dont nous avons parlé notamment dans cet article utilise un tel moteur à induction, ainsi que les sous-marins de la classe Virginia ou de type 212 (avant les futurs Columbia – américain, ci-dessous – et Dreadought – anglais – prévus pour 2031).
La Chine compte équiper du système IEPC ses futurs sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, de type Tang-Class 096 – voir ci-dessous la comparaison entre le type 096 en haut et son prédécesseur le 094 en bas.
Ce sont des bestioles capables de lancer 24 missiles balistiques intercontinentaux JL-3. La Chine compte également équiper ses sous-marins nucléaires d’attaque de type 095.
La Chine a ainsi construit la plus grande base de sous-marins en Asie, à Yulin, avec une volonté de l’utiliser (elle comporte un tunnel sous-marin) pour envoyer discrètement ses engins en échappant à la surveillance satellite – d’où le besoin d’un système de propulsion furtif.
Toutefois, les experts – notamment américains – semblent sceptiques sur la véracité des déclarations chinoises ; sans toutefois expliquer clairement pourquoi. Il est clair que si la Chine a réussi à développer un tel système de propulsion électrique haute performance furtive, il s’agirait d’un avantage stratégique conséquent. Ce qui amène aujourd’hui les Etats-Unis, en particulier, à considérer une accélération de leur programme de détection et de lutte sous la mer, afin de détecter, pister et identifier ces nouvelles menaces… tout en soulignant (et c’est un peu amusant)… le risque de collision accidentelle avec un sous-marin chinois « trop furtif ». On croit rêver.
Si le programme est réel, et les progrès confirmés, les sous-marins chinois équipés pourraient connaître leur premier déploiement opérationnel en 2020.