Pour ceux qui, comme moi, viennent du monde de la simulation de défense, des titres comme America’s Army, Darwars, Operation Frenchpoint (si, si) ou VBS 3 sont parlants. Il s’agit de ce que l’on appelle des « serious games », un terme qui finalement définit toute exploitation non ludique des technologies utilisées dans les jeux.
Ce n’est pas un concept nouveau en soi : les serious games sont les héritiers du « Kriegspiel » de 1811, des jeux de guerre historiques utilisés dans les années 70 pour former les officiers des écoles, ou plus récemment, de « Marine Doom », un jeu sorti en 1993 et adapté pour le US Marine Corps, en vue de réaliser des simulations d’entraînement au tir à la première personne.
Aujourd’hui, le domaine est en pleine expansion, qu’il s’agisse de former à la gestion de crises, à l’apprentissage culturel, à l’auto-formation (e-learning), au management, etc… Mais tous ces serious games sont conçus autour de l’idée de capitaliser sur les moteurs de jeu vidéo (qu’il s’agisse de 3D, de moteurs d’intelligence artificielle ou d’e-learning) pour réaliser un entraînement ou un apprentissage.
Operation Overmatch, un jeu développé par l’US Army, est un peu différent. Car il ne s’agit pas ici de s’entraîner, mais bien de permettre aux soldats d’expérimenter leurs futurs équipements.
Il s’agit d’un jeu développé par le U.S. Army Capabilities Integration Center (ARCIC) et le Army Game Studio et qui vise à fournir une plate-forme d’expérimentation ESP – oui, je sais, l’armée use et abuse des acronymes. En l’occurrence, ESP signifie Early Synthetic Prototyping : il s’agit de disposer d’un environnement virtuel dans lequel les joueurs, qui peuvent être des soldats, des officiers, ou des chercheurs, peuvent tester de futurs matériels et de futurs équipements dans le cadre de la conduite de mission simulées réalistes.
Voici – ci-dessous – une démonstration de la version Alpha (comme le jeu est en cours de développement, il s’agit plutôt d’une succession de copies d’écran que d’une véritable démo).
En gros, il s’agit de donner directement accès aux opérationnels, et de recueillir leurs idées et retours sur les équipements dont ils souhaiteraient disposer. Chaque joueur pourra sélectionner des capacités particulières (calibres, munitions, robotique, systèmes d’armes…) et sera confronté à des plates-formes adverses conçues par les concepteurs du jeu. Aujourd’hui, le jeu est limité aux opérations urbaines, et chaque joueur peut concevoir son équipement en combinant un millier d’options différentes.
Le Beta-test ouvrira en octobre, la phase Alpha ayant mis à contribution une centaine d’utilisateurs (sélectionnés avec soin par les autorités). Comme le dit le LCL Brian Vogt à l’origine du projet : « the game is meant for Soldiers across the spectrum ».
Cette innovation n’est donc pas uniquement technologique ; c’est une innovation dans la manière dont sont perçus les jeux et les environnements virtuels, au-delà de l’immersion, mais surtout au-delà de la formation et de l’entraînement. C’est une bonne idée car elle va dans le sens de l’innovation participative (crowdfunding, open innovation et autres concepts à la mode) et permet d’agréger potentiellement la créativité de milliers d’utilisateurs. C’est aussi un concept un peu risqué s’il est pris uniquement au premier degré, car on court-circuite ainsi toute la réflexion globale capacitaire mais aussi doctrinale, au risque de créer des frustrations ou des concepts irréalistes.
Néanmoins, de sérieux défis subsistent : comment reproduire de manière réaliste et surtout prédictive le comportement de ces nouveaux matériels, comment éviter le biais du à l’emploi d’un jeu, comment intégrer l’expertise opérationnelle réelle au sein des missions, comment éviter la surenchère technologique que certains joueurs peuvent rechercher, comment prendre en compte les nouvelles doctrines d’emploi, tout en gardant une cohérence globale aux niveaux tactiques et opératifs… Si ces questions ne trouveront pas tout de suite une réponse, il s’agit en tout cas d’une expérimentation intéressante, qui vaut la peine d’être suivie et analysée.
Nota : je me permets au passage de faire de la pub pour ce remarquable jeu – non informatique ! – de plateau, appelé Urban Operations, un peu complexe à apprendre tant les règles sont denses, mais remarquablement efficace. Il a été conçu par le lieutenant-colonel Sébastien de Peyret, responsable du laboratoire du combat SCORPION au CDEC, et ce sur son temps personnel. Ce jeu est certes un divertissement, mais il peut être utilisé dans le cadre d’une formation professionnelle (et évidemment d’une formation militaire). Vous pouvez vous le procurer ici. N’étant pas intéressé aux ventes, j’en fais donc librement la promotion.